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Le Capitaine Aréna — Tome 2

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En arrivant près du rivage, le général Franceschetti voulut sauter à terre; mais Murat l'arrêta en lui posant la main sur la tête et en lui disant:

— Pardon, général, mais c'est à moi de descendre le premier.

A ces mots il s'élança et se trouva sur la plage. Le général Franceschetti sauta après Murat, et Campana après Franceschetti; les soldats débarquèrent ensuite, puis les valets.

Murat était vêtu d'un habit bleu, brodé d'or au collet, sur la poitrine et aux poches; il avait un pantalon de casimir blanc, des bottes à l'écuyère, une ceinture à laquelle était passée une paire de pistolets, un chapeau brodé comme l'habit, garni de plumes, et dont la ganse était formée de quatorze diamants qui pouvaient valoir chacun mille écus à peu près; enfin, sous son bras gauche il portait roulée son ancienne bannière royale, autour de laquelle il comptait rallier ses nouveaux partisans.

A la vue de cette petite troupe les pêcheurs s'étaient retirés. Murat trouva donc la plage déserte. Mais il n'y avait pas à se tromper; de l'endroit où il était débarqué il voyait parfaitement l'escalier gigantesque qui conduit à la place: il donna l'exemple à sa petite troupe en se mettant à sa tête et en marchant droit à la ville.

Au milieu de l'escalier à peu près, il se retourna pour jeter un coup d'œil sur la flottille; il vit la chaloupe qui rejoignait le bâtiment; il crut qu'elle retournait faire un nouveau chargements de soldats, et continua de monter. Comme il arrivait sur la place dix heures sonnaient. La place était encombrée de peuple: c'était l'heure où l'on allait commencer la messe.

L'étonnement fut grand lorsque l'on vit déboucher la petite troupe conduite par un homme si richement vêtu, par un général et par un aide-de-camp. Murat pénétra jusqu'au milieu de la place sans que personne le reconnût, tant on était loin de s'attendre à le revoir jamais. Murat cependant était venu au Pizzo cinq ans auparavant et à l'époque où il était roi.

Mais si personne ne le reconnut, il reconnut, lui, parmi les paysans, un ancien sergent qui avait servi dans sa garde à Naples. Murat, comme la plupart des souverains, avait la mémoire des noms. Il marcha droit à l'ex-sergent, lui mit la main sur l'épaule, et lui dit:

— Tu t'appelles Tavella?

— Oui, dit celui-ci; que me voulez-vous?

— Tavella, ne me reconnais-tu pas? continua Murat. Tavella regarda Murat, mais ne répondit point.

— Tavella, je suis Joachim Murat, dit le roi. A toi l'honneur de crier le premier vive Joachim!

La petite troupe de Murat cria à l'instant vive Joachim! mais le Calabrais resta immobile et silencieux, et pas un des assistants ne répondit par un seul cri aux acclamations dont leur ancien roi avait donné lui-même le signal; bien au contraire, une rumeur sourde commençait à courir dans la foule. Murat comprit ce frémissement d'orage, et s'adressant de nouveau au sergent:

— Tavella, lui dit-il, va me chercher un cheval, et, de sergent que tu étais, je te fais capitaine. Mais Tavella s'éloigna sans répondre, s'enfonça dans une des rues tortueuses qui aboutissent à la place, rentra chez lui et s'y renferma.

Pendant ce temps, Murat était demeuré sur la place, où la foule devenait de plus en plus épaisse. Alors le général Franceschetti, voyant qu'aucun signe amical n'accueillait le roi, et que tout au contraire les figures sévères des assistants s'assombrissaient de minute en minute, s'approcha du roi:

— Sire, lui dit-il, que faut-il faire?

— Crois-tu que cet homme m'amènera un cheval?

— Je ne le crois point, dit Franceschetti.

— Alors, allons à pied à Monteleone.

— Sire, il serait plus prudent peut-être de retourner à bord.

— Il est trop tard, dit Murat; les dés sont jetés, que ma destinée s'accomplisse à Monteleone. A Monteleone!

— A Monteleone! répéta toute la troupe; et elle suivit le roi qui, lui montrant le chemin, marchait à sa tête.

Le roi prit, pour aller à Monteleone, la route que nous venions de suivre nous-mêmes pour venir de cette ville au Pizzo; mais déjà, et dans cette circonstance suprême, il y avait trop de temps perdu. En même temps que Tavella, trois ou quatre hommes s'étaient esquivés, non pas pour s'enfermer chez eux comme l'ex-sergent de la garde napolitaine, mais pour prendre leurs fusils et leurs gibernes, ces éternels compagnons du Calabrais. L'un de ces hommes, nommé Georges Pellegrino, à peine armé, avait couru chez un capitaine de gendarmerie nommé Trenta Capelli, dont les soldats étaient à Cosenza, mais qui se trouvait, lui, momentanément dans sa famille au Pizzo, et lui avait raconté ce qui venait d'arriver, en lui proposant de se mettre à la tête de la population et d'arrêter Murat. Trenta Capelli avait aussitôt compris quels avantages résulteraient immanquablement pour lui d'un pareil service rendu au gouvernement. Il était en uniforme, tout prêt d'assister à la messe; il s'élança de chez lui, suivi de Pellegrino, courut sur la place, proposa à toute la population, déjà en rumeur, de se mettre à la poursuite de Murat. Le cri aux armes! retentit aussitôt; chacun se précipita dans la première maison venue, en sortit avec un fusil, et, guidée par Trenta Capelli et Georges Pellegrino, toute cette foule s'élança sur la route de Monteleone, coupant la retraite à Murat et à sa petite troupe.

Murat avait atteint le pont qui se trouve à trois cents pas à peu près en avant du Pizzo, lorsqu'il entendit derrière lui les cris de toute cette meute qui aboyait sur sa voie; il se retourna, et, comme il ne savait pas fuir, il attendit.

Trenta Capelli marchait en tête. Lorsqu'il vit Murat s'arrêter, il ne voulut pas perdre l'occasion de le faire prisonnier de sa main; il fit donc signe à la population de se tenir où elle était, et s'avançant seul contre Murat, qui de son côté s'avançait seul vers lui:

— Vous voyez que la retraite vous est coupée, lui dit-il; vous voyez que nous sommes trente contre un et que par conséquent il n'y a pas moyen pour vous de résister; rendez-vous donc, et vous épargnerez l'effusion du sang.

— J'ai quelque chose de mieux que cela à vous offrir, dit à son tour Murat; suivez-moi, réunissez-vous à moi avec cette troupe, et il y a les épaulettes de général pour vous, et pour chacun de ces hommes cinquante louis.

— Ce que vous me proposez est impossible, dit Trenta Capelli, nous sommes tous dévoués au roi Ferdinand à la vie et à la mort; vous ne pouvez en douter, pas un d'eux n'a répondu à votre cri de Vive Joachim! n'est-ce pas? Écoutez.

Et Trenta Capelli, levant son épée en l'air, cria: Vive Ferdinand!

— Vive Ferdinand! répéta d'une seule voix toute la population, à laquelle commençaient à se mêler les femmes et les enfants, qui accouraient et s'amassaient à l'arrière-garde.

— Il en sera donc ce que Dieu voudra, dit Joachim, mais je ne me rendrai pas.

— Alors, dit Trenta Capelli, que le sang retombe sur ceux qui le feront couler.

— Dérangez-vous, capitaine, dit Murat, vous empêchez cet homme de m'ajuster.

Et il lui montra du doigt Georges Pellegrino qui le mettait en joue. Trenta Capelli se jeta de côté, le coup partit, mais Murat n'en fut point atteint.

Alors Murat comprit que si un seul coup de fusil était tiré de son côté, une boucherie allait commencer, dans laquelle lui et ses hommes seraient mis en morceaux: il voyait qu'il s'était trompé sur l'esprit des Calabrais; il n'avait plus qu'une ressource, celle de regagner sa flottille. Il fit un signe à Franceschetti et à Campana, et s'élançant du haut du pont sur la plage, c'est-à-dire d'une hauteur de trente à trente-cinq pieds à peu près, il tomba dans le sable sans se faire aucun mal; Campana et Franceschetti sautèrent après lui, et eurent le même bonheur que lui. Tous trois alors se mirent à courir vers le rivage, au milieu, des vociférations de toute la populace qui, n'osant les suivre par le même chemin, redescendit en hurlant vers le Pizzo pour regagner le large escalier dont nous avons parlé et qui conduit à la plage.

Murat se croyait sauvé, car il comptait retrouver la chaloupe sur le rivage et la flottille à la place où il l'avait laissée; mais en levant les yeux vers la mer, il vit la flottille qui l'abandonnait et gagnait le large, emmenant la chaloupe amarrée à la proue du navire-amiral que montait Barbara. Ce misérable livrait son maître pour s'emparer de trois millions qu'il savait être dans la chambre du roi.

Murat ne put croire à tant de trahison; il mit son drapeau au bout de son épée et fit des signaux, mais les signaux restèrent sans réponse. Pendant ce temps, les balles de ceux qui étaient restés sur le pont pleuvaient autour de lui, tandis qu'on commençait à voir déboucher par la place la tête de la colonne qui s'était mise à la poursuite des fugitifs. Il n'y avait pas de temps à perdre, une seule chance de salut restait, c'était de pousser à la mer une barque qui s'en trouvait à vingt pas et de faire force de rames vers la flottille, qui, alors, reviendrait sans doute au secours du roi. Murat et ses compagnons se mirent donc à pousser la barque avec l'énergie du désespoir. La barque glissa sur le sable et atteignit l'eau; en ce moment, une décharge partit, et Campana tomba mort. Trenta Capelli, Pellegrino et toute leur suite n'étaient plus qu'à cinquante pas de la barque, Franceschetti sauta dedans, et de l'impulsion qu'il lui donna l'éloigna de deux ou trois pas du rivage. Murat voulut sauter à son tour, mais, par une de ces petites fatalités qui brisent les hautes fortunes, les éperons de ses bottes à l'écuyère restèrent accrochés dans un filet qui était étendu sur la plage. Arrêté dans son élan, Murat ne put atteindre la barque, et tomba le visage dans l'eau. Au même instant, et avant qu'il eût pu se relever, toute la population était sur lui: en une seconde ses épaulettes furent arrachées, son habit en lambeaux et sa figure en sang. La curée royale se fût faite à l'instant même, et chacun en eût emporté son morceau à belles dents, si Trenta Capelli et Georges Pellegrino ne fussent parvenus à le couvrir de leurs corps. On remonta en tumulte l'escalier qui conduisait à la ville. En passant au pied de la statue de Ferdinand, les vociférations redoublèrent. Trenta Capelli et Pellegrino virent que Murat serait massacré s'ils ne le tiraient pas au plus vite des mains de cette populace; ils l'entraînèrent vers le château, y entrèrent avec lui, se firent ouvrir la porte de la première prison venue, le poussèrent dedans, et la refermèrent sur lui. Murât alla rouler tout étourdi sur le parquet, se releva, regarda autour de lui; il était au milieu d'une vingtaine d'hommes prisonniers comme lui, mais prisonniers pour vols et pour assassinats. L'ex-grand duc de Berg, l'ex-roi de Naples, le beau-frère de Napoléon, était dans le cachot des condamnés correctionnels.

 

Un instant après, le gouverneur du château entra; il se nommait Mattei, et comme il était en uniforme Murât le reconnut pour ce qu'il était.

— Commandant, s'écria alors Murât en se levant alors du banc où il était assis et en marchant droit au gouverneur, dites, dites, est-ce que c'est là une prison à mettre un roi?

A ces mots, et tandis que le gouverneur balbutiait quelques excuses, ce furent les condamnés qui se levèrent à leur tour, stupéfaits d'étonnement; ils avaient pris Murât pour un compagnon de vol et de brigandage, et voilà qu'ils le reconnaissaient maintenant pour leur ancien roi.

— Sire, dit Mattei, donnant dans son embarras au prisonnier le titre qu'il était défendu de lui donner, sire, si vous voulez me suivre, je vais vous conduire dans une chambre particulière.

— Il re Joachimo, il re Joachimo, murmurèrent les condamnés.

— Oui, leur dit Murat en se relevant de toute la hauteur de sa grande taille, oui, le roi Joachim, et qui, tout prisonnier et sans couronne qu'il est, ne sortira pas d'ici, cependant, sans laisser à ses compagnons de captivité, quels qu'ils soient, une trace de son passage.

A ces mots, il plongea la main dans la poche de son gousset, et en tira une poignée d'or qu'il laissa tomber sur le parquet; puis, sans attendre les remercîments des misérables dont il avait été un instant le compagnon, il fit signe au commandant Mattei qu'il était prêt à le suivre.

Le commandant marcha le premier, lui fit traverser une petite cour et le conduisit dans une chambre dont les deux fenêtres donnaient, l'une sur la pleine mer, l'autre sur la plage où il avait été arrêté. Arrivé là, il lui demanda s'il désirait quelque chose.

— Je voudrais un bain parfumé et des tailleurs pour me refaire des habits.

— L'un et l'autre seront assez difficiles à vous procurer, général, reprit Mattei lui rendant cette fois le titre officiel qu'on était convenu de lui donner.

— Eh! pourquoi cela? demanda Murat.

— Parce que je ne sais où l'on trouvera ici des essences, et que parmi les tailleurs du Pizzo il n'y en a pas un capable de faire à votre excellence autre chose qu'un costume du pays.

— Achetez toute l'eau de Cologne que l'on trouvera, et faites venir des tailleurs de Monteleone: je veux un bain parfumé, je le paierai cinquante ducats; qu'on trouve moyen de me le faire, voilà tout. Quant aux habits, faites venir les tailleurs, et je leur expliquerai ce que je désire.

Le commandant sortit en indiquant qu'il allait essayer d'accomplir les ordres qu'il venait de recevoir.

Un instant après, des domestiques en livrée entrèrent: ils apportaient des rideaux de Damas pour mettre aux fenêtres, des chaises et des fauteuils pareils, et enfin des matelas, des draps et des couvertures pour le lit. La chambre dans laquelle se trouvait Murat étant celle du concierge, tous ces objets manquaient, ou étaient en si mauvais état que des gens de la plus basse condition pouvaient seuls s'en servir. Murat demanda de quelle part lui venait cette attention, et on lui répondit que c'était de la part du chevalier Alcala.

Bientôt on apporta à Murat le bain qu'il avait demandé. Il était encore dans la baignoire lorsqu'on lui annonça le général Nunziante: c'était une ancienne connaissance du prisonnier, qui le reçut en ami; mais la position du général Nunziante était fausse, et Murat s'aperçut bientôt de son embarras. Le général, prévenu à Tropea de ce qui venait de se passer au Pizzo, venait pour remplir son devoir en interrogeant le prisonnier; et, tout en demandant à son roi pardon des rigueurs que lui imposait sa position, il commença un interrogatoire. Alors Murât se contenta de répondre: — Vous voulez savoir d'où je viens et où je vais, n'est-ce pas, général? eh bien! je viens de Corse, je vais à Trieste, l'orage m'a poussé sur les côtes de Calabre, le défaut de vivres m'a forcé de relâcher au Pizzo; voilà tout. Maintenant voulez-vous me rendre un service? envoyez-moi des habits pour sortir du bain.

Le général comprit qu'il ne pouvait rester plus long-temps sans faire céder tout à fait les convenances à un devoir un peu rigoureux peut-être; il se retira donc pour attendre des ordres de Naples et envoya à Murât ce qu'il demandait.

C'était un uniforme complet d'officier napolitain. Murât s'en revêtit en souriant malgré lui de se voir habillé aux couleurs du roi Ferdinand; puis il demanda plume, encre et papier, et écrivit à l'ambassadeur d'Angleterre, au commandant des troupes autrichiennes et à la reine sa femme. Comme il achevait ces dépêches, deux tailleurs qu'on avait fait venir de Monteleone arrivèrent.

Aussitôt Murât, avec cette frivolité d'esprit qui le caractérisait, passa, des affaires de vie et de mort qu'il venait de traiter, à la commande, non pas de deux uniformes, mais de deux costumes complets: il expliqua dans les moindres détails quelle coupe il désirait pour l'habit, quelle couleur pour les pantalons, quelles broderies pour le tout; puis, certain qu'ils avaient parfaitement compris ses instructions, il leur donna quelques louis d'arrhes, et les congédia en leur faisant promettre que ses vêtements seraient prêts pour le dimanche suivant.

Les tailleurs sortis, Murât s'approcha d'une de ses fenêtres: c'était celle qui donnait sur la plage où il avait été arrêté. Une grande foule de monde était réunie au pied d'un petit fortin qu'on y peut voir encore aujourd'hui à fleur de terre. Murât chercha vainement à deviner ce que faisait là cet amas de curieux. En ce moment le concierge entra pour demander au prisonnier s'il ne voulait point souper. Murat l'interrogea sur la cause de ce rassemblement. — Oh! ce n'est rien, répondit le concierge.

— Mais enfin que font là tous ces gens? demanda Murat en insistant.

— Bah! répondit le concierge, ils regardent creuser une fosse.

Murat se rappela qu'au milieu du trouble amené par sa catastrophe il avait effectivement vu tomber près de lui un de ses deux compagnons, et que celui qui était tombé était Campana: cependant tout s'était passé d'une façon si rapide et si imprévue qu'à peine s'il avait eu le temps de remarquer les circonstances les plus importantes qui avaient immédiatement précédé et suivi son arrestation. Il espérait donc encore qu'il s'était trompé, lorsqu'il vit deux hommes fendre le groupe, entrer dans le petit fortin, et en sortir cinq minutes après portant le cadavre ensanglanté d'un jeune homme entièrement dépouillé de ses vêtements: c'était celui de Campana.

Murat tomba sur une chaise, et laissa aller sa tête dans ses deux mains: cet homme de bronze, qui avait toujours, exempt de blessures quoique toujours au feu, caracolé au milieu de tant de champs de bataille sans faiblir un seul instant, se sentit brisé à la vue inopinée de ce beau jeune homme, que sa famille lui avait confié, qui venait de tomber pour lui dans une échauffourée sans gloire, et que des indifférents enterraient comme un chien sans même demander son nom. Au bout d'un quart d'heure Murat se releva et se rapprocha de nouveau de la fenêtre. Cette fois la plage, à part quelques curieux attardés, était à peu près déserte; seulement, à l'endroit que couvrait dix minutes auparavant le rassemblement qui avait attiré l'attention du prisonnier, une légère élévation, remarquable par la couleur différente que conservait la terre nouvellement retournée, indiquait l'endroit où Campana venait d'être enterré. Deux grosses larmes silencieuses coulaient des yeux de Murat, et il était si profondément préoccupé qu'il ne voyait pas le concierge qui, entré depuis plusieurs minutes, n'osait point lui adresser la parole. Enfin, à un mouvement que le bonhomme fit pour attirer son attention, Murat se retourna.

— Excellence, dit-il, c'est le souper qui est prêt.

— Bien, dit Murat en secouant la tête comme pour faire tomber la dernière larme qui tremblait à sa paupière; bien, je te suis.

— Son excellence le général Nunziante demande s'il lui serait permis de dîner avec votre excellence.

— Parfaitement, dit Murat. Préviens-le, et reviens dans cinq minutes.

Murat employa ces cinq minutes à effacer de son visage toute trace d'émotion, de sorte que le général Nunziante entra lui-même à la place du concierge. Le prisonnier le reçut d'un visage si souriant qu'on eût dit que rien d'extraordinaire ne s'était passé. Le dîner était préparé dans la chambre voisine; mais la tranquillité de Murat était toute superficielle; son cœur était brisé, et vainement essaya-t-il de prendre quelque chose. Le général Nunziante mangea seul; et, supposant que le prisonnier pouvait avoir besoin de quelque chose pendant la nuit, il fit porter un poulet froid, du pain et du vin dans sa chambre. Après être resté un quart d'heure à peu près à table, Murat, ne pouvant plus supporter la contrainte qu'il éprouvait, manifesta le désir de se retirer dans sa chambre et d'y rester seul et tranquille jusqu'au lendemain. Le général Nunziante s'inclina en signé d'adhésion, et reconduisit le prisonnier jusqu'à sa chambre. Sur le seuil, Murat se retourna et lui présenta la main; puis il rentra, et la porte se referma sur lui.

Le lendemain, à neuf heures du matin, une dépêche télégraphique arriva en réponse à celle qui avait annoncé la tentative de débarquement et l'arrestation de Murat. Cette dépêche ordonnait la convocation immédiate d'un conseil de guerre. Murat devait être jugé militairement et avec toute la rigueur de la loi qu'il avait rendue lui-même en 1810 contre tout bandit qui serait pris dans ses états les armes à la main.

Cependant cette mesure paraissait si rigoureuse au général Nunziante qu'il déclara que, comme il pouvait y avoir erreur dans l'interprétation des signes télégraphiques, il attendrait une dépêche écrite. De cette façon le prisonnier eut un sursis de trois jours, ce qui lui donna une nouvelle confiance dans la façon dont il allait être traité. Mais enfin, le 12 au matin, la dépêche écrite arriva. Elle était brève et précise; il n'y avait pas moyen de l'éluder. La voici: «Naples, 9 octobre 1815.

» Ferdinand, par la grâce de Dieu, etc.

» Avons décrété et décrétons ce qui suit:

» ART. 1er. Le général Murat sera jugé par une commission militaire dont les membres seront nommés par notre ministre de la guerre.

» ART. 2. Il ne sera accordé au condamné qu'une demi-heure pour recevoir les secours de la religion.»

Comme on le voit, on doutait si peu de la condamnation qu'on avait déjà réglé le temps qui devait s'écouler entre la condamnation et la mort.

Un second arrêté était joint à celui-ci. Ce second arrêté, qui découlait du premier, contenait les noms des membres choisis pour composer le conseil de guerre.

Toute la journée s'écoula sans que le général Nunziante eût le courage d'avertir Murat des nouvelles qu'il avait reçues. Dans la nuit du 12 au 13, la commission s'assembla; enfin, comme il fallait que le 13 au matin Murat parût devant ses juges, il n'y eut pas moyen de lui cacher plus long-temps la situation où il se trouvait; et le 13, à six heures du matin, l'ordonnance de mise en jugement lui fut signifiée, et la liste de ses juges lui fut communiquée.

Ce fut le capitaine Strati qui lui fit cette double signification, que Murat, si imprévue qu'elle fût pour lui, reçut cependant comme s'il y eût été préparé et le sourire du mépris sur les lèvres; mais, cette lecture achevée, Murat déclara qu'il ne reconnaissait pas un tribunal composé de simples officiers; que si on le traitait en roi, il fallait, pour le juger, un tribunal de rois; que si on le traitait en maréchal de France, son jugement ne pouvait être prononcé que par une commission de maréchaux; qu'enfin, si on le traitait en général, ce qui était le moins qu'on pût faire pour lui, il fallait rassembler un jury de généraux.

 

Le capitaine Strati n'avait pas mission de répondre aux interpellations du prisonnier: aussi se contenta-t-il de répondre que son devoir était de faire ce qu'il venait de faire, et que, le prisonnier connaissant mieux que personne les rigoureuses prescriptions de la discipline, il le priait de lui pardonner.

— C'est bien, dit Murat; d'ailleurs ce n'est pas sur vous autres que l'odieux de la chose retombera, c'est sur Ferdinand, qui aura traité un de ses frères en royauté comme il aurait traité un brigand. Allez, et dites à la commission qu'elle peut procéder sans moi. Je ne me rendrai pas au tribunal; et si l'on m'y porte de force, aucune puissance humaine n'aura le pouvoir de me faire rompre le silence.

Strati s'inclina et sortit. Murat, qui était encore au lit, se leva et s'habilla promptement: il ne s'abusait pas sur sa situation, il savait qu'il était condamné d'avance, et il avait vu qu'entre sa condamnation et son supplice une demi-heure seulement lui était accordée. Il se promenait à grands pas dans sa chambre, quand le lieutenant Francesco Froyo, rapporteur de la commission, entra: il venait prier Murat, au nom de ses collègues, de comparaître au tribunal, ne fût-ce qu'un instant; mais Murat renouvela son refus. Alors Francesco Froyo lui demanda quels étaient son nom, son âge et le lieu de sa naissance.

A cette question, Murat se retourna, et avec une expression de hauteur impossible à décrire:

— Je suis, dit-il, Joachim-Napoléon, roi des Deux-Siciles, né à la Bastide-Fortunière, et l'histoire ajoutera: assassiné au Pizzo.

Maintenant que vous savez ce que vous voulez savoir, je vous ordonne de sortir.

Le rapporteur obéît.

Cinq minutes après, le général Nunziante entra; il venait à son tour supplier Murat de paraître devant la commission, mais il fut inébranlable.

Cinq heures s'écoulèrent pendant lesquelles Murat resta enfermé seul et sans que personne fût introduit près de lui; puis sa porte se rouvrit, et le procureur royal La Camera entra dans sa chambre, tenant d'une main le jugement de la commission, et de l'autre la loi que Murat avait rendue lui-même contre les bandits, et en vertu de laquelle il avait été jugé. Murat était assis; il devina que c'était sa condamnation qu'on lui apportait: il se leva, et, s'adressant d'une voix ferme au procureur royal: — Lisez, monsieur, lui dit-il, je vous écoute.

Le procureur royal lut alors le jugement: Murat était condamné à l'unanimité moins une voix.

Cette lecture terminée: — Général, lui dit le procureur royal, j'espère que vous mourrez sans aucun sentiment de haine contre nous, et que vous ne vous en prendrez qu'à vous-même de la loi que vous avez faite.

— Monsieur, répondit Murat, j'avais fait cette loi pour des brigands et non pour des têtes couronnées.

— La loi est égale pour tous, monsieur, répondit le procureur royal.

— Cela peut être, dit Murat, lorsque cela est utile à certaines gens; mais quiconque a été roi porte avec lui un caractère sacré qui mériterait qu'on y regardât à deux fois avant de le traiter connue le commun des hommes. Je faisais cet honneur au roi Ferdinand de croire qu'il ne me ferait pas fusiller comme un criminel; je me trompais: tant pis pour lui, n'en parlons plus. J'ai été à trente batailles, j'ai vu cent fois la mort en face. Nous sommes donc de trop vieilles connaissances pour ne pas être familiarisés l'un avec l'autre. C'est vous dire, messieurs, que quand vous serez prêts je le serai, et que je ne vous ferai point attendre. Quant à vous en vouloir, je ne vous en veux pas plus qu'au soldat qui, dans la mêlée, ayant reçu de son chef l'ordre de tirer sur moi, m'aurait envoyé sa balle au travers du corps. Allez, messieurs, vous comprenez que, l'arrêté du roi ne me donnant qu'une demi-heure, je n'ai pas de temps à perdre pour dire adieu à ma femme et à mes enfants. Allez, messieurs; et il ajouta en souriant, comme au temps où il était roi: — Et que Dieu vous ait dans sa sainte et digne garde.

Resté seul, Murat s'assit en face de la fenêtre qui regarde la mer, et écrivit à sa femme la lettre suivante, dont nous pouvons garantir l'authenticité, puisque nous l'avons transcrite sur la copie même de l'original qu'avait conservé le chevalier Alcala.

«Chère Caroline de mon cœur,

» L'heure fatale est arrivée, je vais mourir du dernier des supplices: dans une heure tu n'auras plus d'époux et nos enfants n'auront plus de père; souvenez-vous de moi et n'oubliez jamais ma mémoire.

» Je meurs innocent, et la vie m'est enlevée par un jugement injuste.

» Adieu mon Achille, adieu ma Lætitia, adieu mon Lucien, adieu ma Louise.

» Montrez-vous dignes de moi; je vous, laisse sur une terre et dans un royaume plein de mes ennemis; montrez-vous supérieurs à l'adversité, et souvenez-vous de ne pas vous croire plus que vous n'êtes, en songeant à ce que vous avez été.

» Adieu, je vous bénis, ne maudissez jamais ma mémoire; rappelez-vous que la plus grande douleur que j'éprouve dans mon supplice est celle de mourir loin de mes enfants, loin de ma femme, et de n'avoir aucun ami pour me fermer les yeux.

» Adieu ma Caroline, adieu mes enfants; recevez ma bénédiction paternelle, mes tendres larmes et mes derniers baisers. » Adieu, adieu, n'oubliez point votre malheureux père!

» Pizzo, ce 13 octobre 1815.

» JOACHIM MURAT.»

Comme il achevait cette lettre, la porte s'ouvrit: Murat se retourna et reconnut le général Nunziante.

— Général, lui dit Murat, seriez-vous assez bon pour me procurer une paire de ciseaux? Si je la demandais moi-même, peut-être me la refuserait-on.

Le général sortit, et rentra quelques secondes après avec l'instrument demandé. Murat le remercia d'un signe de tête, lui prit les ciseaux des mains, coupa une boucle de ses cheveux, puis la mettant dans la lettre et présentant cette lettre au général:

— Général, lui dit-il, me donnez-vous votre parole que cette lettre sera remise à ma Caroline?

— Sur mes épaulettes je vous le jure, répondit le général. Et il se détourna pour cacher son émotion.

— Eh bien! eh bien! général, dit Murat en lui frappant sur l'épaule, qu'est-ce donc que cela? que diable! nous sommes soldats tous les deux; nous avons vu la mort en face. Eh bien! je vais la revoir, voilà tout, et cette fois elle viendra à mon commandement, ce qu'elle ne fait pas toujours, car j'espère qu'on me laissera commander le feu, n'est-ce pas? Le général fit signe de la tête que oui.

— Maintenant, général, continua Murat, quelle est l'heure fixée pour mon exécution?

— Désignez-la vous-même, répondit le général.

— C'est vouloir que je ne vous fasse pas attendre.

— J'espère que vous ne croyez pas que c'est ce motif.

— Allons donc, général, je plaisanté, voilà tout.

Murât tira sa montre de son gousset: c'était une montre enrichie de diamants, sur laquelle était le portrait de la reine; le hasard fit qu'elle se présenta du côté de l'émail.

Murat regarda un instant le portrait avec une expression de douleur indéfinissable, puis avec un soupir:

— Voyez donc, général, dit-il, comme la reine est ressemblante. — Puis il allait remettre la montre dans sa poche, lorsque, se rappelant tout à coup pour quelle cause il l'avait tirée: