Kitabı oxu: «Le comte de Moret», səhifə 44

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CHAPITRE XXII.
L'AIGLE ET LE RENARD

Le surlendemain, le cardinal de Richelieu entrait dans le fort de Pignerol juste au moment où Charles-Emmanuel sortait de Turin pour venir le secourir.

Mais, à trois lieues de Turin, ses éclaireurs lui annoncèrent qu'un corps de huit cents hommes à peu près venait à sa rencontre avec les bannières savoyardes.

Il envoya un de ses officiers reconnaître quel était ce corps; et l'officier lui revint dire, à son grand étonnement, que c'était la garnison de Pignerol qui regagnait Turin. Le fort s'était rendu.

La nouvelle produisit sur Charles-Emmanuel une terrible impression. Il s'arrêta un instant, pâlit, passa sa main sur son front en appelant le commandant de sa cavalerie:

– Chargez-moi toute cette canaille, dit-il, en lui montrant les pauvres diables qui n'en pouvaient mais, puisque ce n'était point la garnison, mais le gouverneur qui s'était rendu; et s'il est possible, que pas un n'en reste debout.

L'ordre fut exécuté à la lettre et les trois quarts de ces malheureux furent passés au fil de l'épée.

Cet événement de la prise de Pignerol, dont les causes restèrent ignorées au duc de Savoie, lui fit envisager sa position à son véritable point de vue. Il reconnut qu'elle était désastreuse. Toutes les ruses et toutes les intrigues d'un règne de près de quarante-cinq ans, et ce règne de quarante-cinq ans s'était passé tout entier en intrigues et en ruses, n'avaient donc abouti qu'à mettre un ennemi terrible au cœur de ses Etats. Sa seule ressource maintenant était donc de se jeter dans les bras des Espagnols et des Autrichiens, d'implorer Spinola, un Génois, c'est-à-dire un ennemi, ou Waldstein, un Bohême, c'est-à-dire un étranger.

Il fallait plier sous la main de fer de la nécessité. Le duc convoqua Spinola, le général en chef des Espagnols, et Cellato, le chef des Allemands descendus en Italie, pour les inviter à lui venir en aide contre les Français. Mais Spinola, grand homme de guerre, qui depuis qu'il occupait le Milanais, n'avait point perdu des yeux Charles-Emmanuel, n'avait pas la moindre sympathie pour ce petit prince intrigant et ambitieux qui, tant de fois, par ses changements de politique, lui avait fait tirer l'épée et tant de fois la remettre au fourreau. Quant à Cellato, il n'avait qu'un but en descendant en Italie: nourrir et enrichir son armée et lui-même, et, pour couronnement à cette campagne qu'il faisait pour son compte en véritable condottieri qu'il était, prendre et piller Mantoue. Des hommes de cette trempe devaient, on le comprend, se laisser peu attendrir par les lamentations du duc de Savoie.

Spinola déclara donc qu'il ne pouvait aucunement affaiblir son armée, qu'il avait besoin de conserver tout entière pour l'exécution de ses projets dans le Montferrat.

Quant à Cellato, c'était autre chose; comme nous l'avons dit, il pouvait tirer d'Allemagne autant d'hommes qu'il en avait besoin. Waldstein, remis à la tête de ses bandits, commandant à plus de cent mille hommes, ou plutôt commandé par eux, effrayant Ferdinand II de sa puissance, et parfois s'en effrayant lui-même, ne demandait pas mieux que d'en céder à tous les princes qui voudraient lui en acheter. C'était purement et simplement une affaire d'argent qui se débattit entre Charles Emmanuel et Cellato, qui finit, après quelques pourparlers et une large saignée à la caisse du duc de Savoie, par lui céder une dizaine de mille hommes.

Au reste, il fallait toute la haine de Charles-Emmanuel contre la France pour conclure ce terrible marché; c'était introduire dans le Piémont un ennemi bien autrement à craindre que celui qu'il en voulait chasser. La discipline la plus sévère régnait dans le camp des Français. Les soldats ne prenaient rien que l'argent à la main; les Allemands, au contraire, ne tendaient la main que pour prendre et piller.

Le duc de Savoie comprit donc bientôt que ce qu'il y avait de mieux pour lui, c'était d'essayer une dernière tentative afin d'attendrir Richelieu.

Or, deux jours après la prise de Pignerol, le cardinal travaillait dans ce même cabinet du comte Urbain d'Espalomba, où nous avons vu la comtesse venir frapper de si bon matin, le lendemain de l'arrivée de Gaëtano au fort; on lui annonça la visite d'un jeune officier envoyé par le cardinal Antonio Barberini, neveu du pape et son légat près de Charles-Emmanuel.

Le cardinal devina aussitôt ce dont il était question, et comme c'était Etienne Latil qui lui faisait cette annonce, et qu'il avait grande confiance non-seulement dans le courage, mais encore dans la perspicacité de son lieutenant des gardes:

– Arrive ici, lui dit le cardinal.

– Me voici, Eminence, répondit Latil en portant la main à son chapeau.

– Connais-tu l'envoyé de Mgr Barberini?

– Je ne l'ai jamais vu, monseigneur.

– Et son nom?

– Parfaitement inconnu.

– De toi? mais peut-être pas de moi!

Latil secoua la tête.

– Il y a peu de gens connus que je ne connaisse pas, dit-il.

– Comment s'appelle-t-il?

– Mazarino Mazarini, monseigneur.

– Mazarino Mazarini! Tu as raison, je ne connais pas ce nom-là, Etienne. Diable! je n'aime pas jouer sans voir un peu dans les cartes de mon voisin. – Jeune?

– Vingt-six à vingt-huit ans à peine.

– Beau ou laid?

– Joli.

– Fortune de femme ou de prélat? de quelle partie de l'Italie?

– A son accent, je le croirais du royaume de Naples.

– Finesse et ruse. Elégant ou négligé dans sa mise?

– Coquet.

– Tenons-nous bien, Latil! Vingt-huit ans, joli, coquet, envoyé par le cardinal Barberini, neveu d'Urbain VIII. Ce doit être ou un imbécile, ce que je verrai bien du premier coup, ou un homme très fort, ce qui sera plus difficile à voir. Fais entrer; en tout cas, grâce à toi, je ne serai pas surpris.

Cinq minutes après la porte s'ouvrait, et Latil annonçait:

– Le capitaine Mazarino Mazarini.

Le cardinal jeta les yeux sur le jeune officier. Il était bien tel que Latil l'avait dépeint.

De son côté, tout en saluant respectueusement le cardinal, le jeune officier que nous appellerons Mazarin; car, naturalisé en 1639, il enleva les dernières lettres de son nom, et ce fut sous celui de Mazarin que l'histoire l'a enregistré comme un des plus grands fourbes qui aient jamais administré le royaume, – de son côté, disons-nous, en saluant le cardinal, Mazarin fit de l'éminence un inventaire aussi complet qu'un homme d'un esprit rapide et investigateur peut le faire en un coup d'œil.

Nous avons déjà une fois, en amenant Sully et Richelieu en face l'un de l'autre, montré le passé et le présent. Le hasard fait qu'en amenant en face l'un de l'autre Richelieu et Mazarin, nous pouvons montrer cette fois le présent et l'avenir.

Cette fois seulement, nous ne pouvons plus intituler notre chapitre les deux Aigles; mais l'Aigle et le Renard.

Le renard entra donc avec son regard fin et oblique.

L'aigle le reçut avec son regard fixe et profond.

– Monseigneur, dit Mazarin, affectant un grand trouble, pardonnez à l'émotion que j'éprouve en me trouvant devant le premier génie politique du siècle, moi simple capitaine des armées pontificales, et surtout si jeune d'âge.

– En effet, monsieur, dit le cardinal, vous avez à peine vingt-six ans.

– Trente, monseigneur.

Le cardinal se mit à rire.

– Monsieur, lui dit-il, lorsque me rendant à Rome pour me faire sacrer évêque, le pape Paul V me demanda mon âge, comme vous, je me vieillis donc de deux ans et lui dis vingt-cinq ans, n'en ayant que vingt-trois. Il me sacra évêque; mais après le sacre je me jetais à ses genoux et lui demandai l'absolution. Il me la donna; je lui avouai alors que j'avais menti et m'étais vieilli de deux ans.

Voulez-vous l'absolution?

– Je vous la demanderai, monseigneur, répondit en riant Mazarin, le jour où je voudrai être évêque.

– Serait-ce votre intention?

– Si j'avais l'espoir d'être un jour cardinal comme Votre Eminence.

– Cela vous sera facile avec la protection que vous avez.

– Et qui a dit à monseigneur que j'avais des protections?

– La mission dont vous êtes chargé, car, m'a-t-on dit, vous venez me parler de la part du cardinal Antonio Barberini.

– Ma protection, en tout cas, ne serait que de seconde main, puisque je ne suis le protégé que du neveu de Sa Sainteté.

– Donnez-moi la protection d'un des neveux de Sa Sainteté, n'importe lequel, et je vous cède celle de Sa Sainteté elle-même.

– Vous savez cependant ce que Sa Sainteté pense de ses neveux.

– Je crois qu'il a dit un jour, dans un moment de franchise, que son premier neveu, François Barberini, qu'il a fait entrer au sacré collége, n'était bon qu'à dire des patenôtres; que son frère Antonio qui vous envoie vers moi n'avait d'autre mérite que la puanteur de son froc, ce pourquoi il lui avait donné la robe de cardinal; que le cardinal Antoine, le jeune, surnommé le Démosthène parce qu'il bégaie en parlant, n'était capable que de s'enivrer trois fois par jour, et que le dernier d'eux tous, Thadéo, qu'il avait nommé généralissime du saint-siége, était plus en état de porter une quenouille qu'une épée.

– Ah! monseigneur, je ne pousserai pas mes questions plus loin; après avoir dit ce que l'oncle pense des neveux, vous seriez capable de me répéter ce que les neveux disent de l'oncle…

– Que les grandes faveurs qu'ils reçoivent d'Urbain VIII, n'est-ce pas, ne sont que les récompenses légitimes des peines qu'ils se sont données pour le faire élire. Qu'au premier tour de scrutin, le pontife n'avait pas une voix, que répandus dans la populace romaine, ils la soulevèrent à force d'argent, si bien qu'elle vint crier sous les fenêtres du château Saint-Ange, où se faisait l'élection: Mort et incendie ou Barberino pape! Au scrutin suivant, il eut cinq voix, c'était déjà quelque chose; seulement, il en fallait treize: Deux cardinaux conduisaient la cabale qui ne voulait de lui à aucun prix.

En trois jours, les deux cardinaux disparurent, l'un frappé, dit-on, d'apoplexie, l'autre succombant à un anévrisme. Ils furent remplacés par deux partisans du candidat suprême; cela lui fit sept voix. Deux cardinaux moururent appartenant à l'opposition la plus acharnée; on parla d'une épidémie, chacun eût hâte de quitter le conclave, et Barberino eut quinze voix au lieu de treize qu'il fallait.

– Ce n'était pas trop payer la grandeur des réformes qu'à peine sur le trône pontifical, sa sainteté Urbain VIII proclama.

– Oui, en effet, dit Richelieu, il défendit aux récollets de porter la sandale et le capuchon pointu, à la façon des capucins. Il défendit aux carmes anciens de s'intituler carmes réformés. Il exigea que les religieux prémontrés d'Espagne reprissent l'ancien habit et le nom de Fratres qu'ils avaient quitté par orgueil. Il béatifia deux fanatiques théâtrins, André Avellino et Gaëtano de Tiane; un carme déchaussé, Félix Cantalice, un illuminé, le carme Florentin Corsini; deux femmes extatiques, Marie Madeleine de Pazzi et Elisabeth, reine de Portugal, et enfin le bienheureux Saint-Roch et son chien.

– Allons, allons, dit Mazarin, je vois que Votre Eminence est bien renseignée sur Sa Sainteté, ses neveux et la cour de Rome.

– Mais vous-même, qui me paraissez être un homme d'esprit, dit Richelieu, comment êtes-vous à la solde de pareilles nullités?

– On commence par où l'on peut, monseigneur, dit Mazarin avec son fin sourire.

– C'est juste, dit Richelieu, et maintenant que nous avons suffisamment parlé d'eux, parlons de nous; que venez-vous faire près de moi?

– Vous demander une chose que vous ne m'accorderez pas.

– Pourquoi?

– Parce qu'elle est absurde.

– Pourquoi vous en êtes-vous chargé, alors?

– Pour me trouver en face de l'homme que j'admire le plus au monde.

– Et quelle est cette chose?

Mazarin haussa les épaules.

– Je suis chargé de dire à Votre Eminence que, depuis la prise de Pignerol, Mgr le duc de Savoie est devenu doux comme un mouton et souple comme un serpent. Il a donc prié S. Em. Mgr le légat de vous faire demander si vous auriez cette générosité, en considération de la princesse de Piémont, sœur du roi, de lui rendre le fort de Pignerol, concession qui avancerait de beaucoup la paix.

– Savez-vous, mon cher capitaine, répondit Richelieu, que vous avez bien fait de débuter comme vous avez fait, sinon je me serais demandé si vous étiez un niais de vous charger d'une pareille ambassade, ou si vous me preniez pour un niais moi-même. Oh! non pas, l'aliénation du fort de Pignerol fut une des hontes du règne de Henri III; ce sera une des gloires du règne de Louis XIII.

– Dois-je reporter la réponse dans les termes où vous venez de me la faire?

– Non, pas précisément.

– Alors, dites, monseigneur.

– Sa Majesté n'a pas encore appris la conquête de Pignerol. Je ne puis rien faire, à moins qu'elle me déclare si elle veut garder la place, ou si elle est disposée à en faire une gracieuseté à Madame sa sœur. On m'écrit que le roi est parti de Paris et qu'il vient en Italie; attendons jusqu'à ce qu'il soit arrivé à Lyon ou à Grenoble; alors on pourra entrer sérieusement en négociation et donner des réponses plus positives.

– Vous pouvez être tranquille, monseigneur, je reporterai votre réponse mot à mot. Seulement, si vous le permettez, je leur laisserai l'espoir.

– Qu'en feront-ils?

– Rien, mais moi j'en ferai peut-être quelque chose.

– Comptez-vous donc rester en Italie?

– Non, mais avant de la quitter, j'en veux tirer tout ce qu'elle peut me donner encore.

– Croyez vous donc que l'Italie ne puisse pas vous offrir un avenir suffisant à votre ambition?

– L'Italie est un pays condamné pour plusieurs siècles, monseigneur; chaque Italien qui rencontre un compatriote doit lui dire: Memento mori. Le dernier siècle, monseigneur, vous le savez mieux que moi, a été un siècle de craquement; il a émietté tout ce qui restait encore debout des temps féodaux. Les deux grandes unités du moyen âge, l'Empire et l'Eglise se sont desserrées. Le pape et l'Empereur étaient les deux moitiés de Dieu; depuis Rodolphe de Habsbourg, l'Empire est devenu une dynastie; depuis Luther, le pape n'est plus que le représentant d'une secte.

Mazarin parut vouloir s'arrêter.

– Continuez, continuez, lui dit Richelieu, je vous écoute.

– Vous m'écoutez, monseigneur! jusqu'à aujourd'hui j'avais douté de moi; vous m'écoutez, je n'en doute plus… Il y a encore des Italiens, mais il n'y a plus d'Italie, monseigneur. L'Espagne tient Naples, Milan, Florence et Palerme, quatre capitales. La France tient la Savoie et Mantoue; Venise perd tous les jours son influence; un froncement de sourcil de Philippe IV ou de Ferdinand II fait trembler le successeur de Grégoire VII. L'autorité manque de force, les nobles ont anéanti le peuple, mais ils sont descendus à l'état de courtisans. Le pouvoir monarchique a vaincu partout, et partout il est entouré d'ennemis terribles et invisibles qui l'obligent à s'entourer d'armées permanentes, de sbires, de bravi, à se munir de contre-poisons, à se vêtir de cotte de mailles, et, ce qui est pis, de donner la main au concile de Trente, à l'inquisition, à l'index. La fièvre de la lutte sur les places publiques et sur les champs de bataille a disparu, et avec elle la vie. L'ordre règne partout; l'ordre est la mort des peuples.

– Et où irez vous, si vous quittez l'Italie?

– Où il y aura des révolutions, monseigneur: en Angleterre peut-être, en France probablement.

– Et si vous venez en France, voudrez-vous me devoir quelque chose?

– Je serai heureux et fier de vous devoir tout, monseigneur.

– Monsieur Mazarin, nous nous reverrons, je l'espère.

– C'est mon seul désir, monseigneur.

Et le souple Napolitain salua jusqu'à terre et gagna la porte à reculons.

– J'avais bien entendu dire, murmura le cardinal, que les rats quittaient le bâtiment qui allait sombrer; mais j'ignorais que ce fût pour monter sur celui qui allait affronter la tempête.

Puis il ajouta tout bas:

– Ce jeune capitaine ira loin, surtout s'il change son uniforme contre une soutane.

Puis se levant, le cardinal gagna l'antichambre, qu'il traversait tout pensif et sans voir un courrier qui arrivait de France.

Latil le lui fit remarquer.

Le cardinal fit signe au courrier de s'approcher.

Celui-ci lui remit une lettre venant de France.

– Ah! ah! dit le cardinal en voyant le messager couvert de poussière, il paraît que la lettre que tu m'apportes est pressée.

– Très pressée, monseigneur.

Richelieu prit la lettre et l'ouvrit; elle ne contenait que peu de mots; mais, comme on va voir, elle était d'une certaine importance.

Fontainebleau, 17 mars 1630.

«Le roi, parti pour Lyon, n'a été que jusqu'à Troyes.

«Revenu à Fontainebleau. – Amoureux! Gardez-vous.

P. S. —Cinquante pistoles au porteur, s'il arrive avant le 25 courant!

Le cardinal relut deux ou trois fois la lettre, les deux initiales lui disaient qu'elle était de Saint-Simon. Celui-ci n'avait pas l'habitude de lui donner de fausses nouvelles; seulement celle-là était tellement invraisemblable, qu'il douta.

– N'importe, dit-il à Latil, va me chercher le comte de Moret; il est en veine.

– Monseigneur sait, dit en riant Latil, que M. le comte de Moret est allé conduire sa belle otage à Briançon.

– Va le chercher où il est et dis-lui, pour le décider à venir sans retard, que c'est lui que je charge de porter à Fontainebleau la nouvelle de la prise de Pignerol.

Latil s'inclina et sortit.

CHAPITRE XXIII.
L'AURORE

Comme nous l'avons dit dans un de nos précédents chapitres, tourmenté des insistances de sa mère, tremblant d'avoir fait son frère trop puissant par les dernières faveurs qu'il lui avait accordées, sachant que la reine Anne, malgré la défense qu'il lui en avait faite, continuait à voir l'ambassadeur d'Espagne et à conspirer avec lui, le roi Louis XIII, loin du cardinal, c'est-à-dire loin de l'âme politique, était tombé dans une mélancolie que rien ne pouvait chasser.

Et ce qui l'énervait surtout dans cette lutte incessante, c'était de comprendre instinctivement, grâce à ce rayon d'intelligence morale que Dieu avait mise en lui, que Richelieu était plus nécessaire au salut de l'Etat que lui même; et cependant tout ce monde qui l'entourait, à part l'Angély, son fou, et Saint-Simon, qu'il avait fait son grand écuyer, ou s'était déclaré contre l'homme qu'il tenait pour indispensable, ou conspirait sourdement contre lui.

Il y a toujours, et dans tous les temps, un monde qui s'intitule le monde des honnêtes gens, qui s'élève contre les idées nouvelles ou généreuses et qui défend le passé, c'est-à-dire la routine contre l'avenir, c'est-à-dire le progrès. Ce monde, celui du statu quo, qui défend l'immobilité contre le mouvement, la mort contre la vie, voyait dans Richelieu un de ces révolutionnaires qui épurent le pays, c'est vrai, mais qui l'agitent en l'épurant. Or, Richelieu était évidemment non-seulement l'ennemi de ces honnêtes gens-là, mais encore du monde catholique. Sans lui l'Europe eût été dans une paix profonde; le Piémont, l'Espagne, l'Autriche et Rome, assis à la même table, se fussent mis tranquillement à manger, feuille à feuille, cet artichaut qu'on appelle l'Italie. L'Autriche eût pris Mantoue et Venise: le Piémont, le Montferrat et Gênes; l'Espagne, le Milanais, Naples et la Sicile; Rome, Urbin, la Toscane et les petits duchés; et la France insouciante et tranquille, eût assisté du haut des Alpes à ce festin de lions auquel elle n'était point invitée. Qui s'opposait à la paix? Richelieu, Richelieu seul. C'est ce qu'insinuait le pape; c'est ce que proclamaient Philippe IV et l'Empereur, c'est ce que chantaient en chœur la reine Marie de Médicis, la reine Anne d'Autriche et la reine Henriette d'Angleterre.

Après ces grandes voix qui criaient anathème contre le ministre, venaient les voix inférieures, celles du duc de Guise, qui, après avoir espéré d'être de cette guerre, n'en était pas et s'était réfugié dans son gouvernement de Provence; Créquy, le gouverneur du Dauphiné, qui se croyait en droit d'hériter de l'épée de connétable de son beau-père; Lesdiguières, Montmorency, à qui cette épée avait été promise et qui craignait de la voir s'échapper de ses mains, depuis le refus qu'il avait fait au cardinal d'enlever le duc de Savoie; enfin tous les grands seigneurs: les Soissons, les Condé, les Conti, les Elbeuf, effrayés de voir l'entêtement systématique du cardinal à abaisser et à dépouiller toutes les grandes maisons du royaume.

Malgré tout cela, et peut-être même à cause de tout cela, Louis s'était résolu à quitter Paris et à tenir la promesse qu'il avait faite à son ministre, en allant le rejoindre en Italie. Il va sans dire que cette résolution, qui replaçait le roi sous la tutelle directe du cardinal, avait fait jeter les hauts cris aux deux reines, qui avaient déclaré que si le roi allait en Italie, elles l'y suivraient.

Elles avaient un admirable prétexte: leur crainte pour la santé du roi.

Malgré tous ces tiraillements, le roi avait fait donner avis de son départ au cardinal et était, en effet, parti pour Lyon le 21 février. La route qu'il allait suivre était la Champagne et la Bourgogne; les deux reines et le conseil le rejoindraient à Lyon.

Mais les choses ne devaient point se passer si tranquillement. Le lendemain du jour où le roi avait quitté Paris, son frère Gaston, d'Orléans, franchissait en poste et à grand bruit la porte de la capitale et entrait brusquement vers neuf heures du soir, chez la reine mère, qui tenait son cercle.

Marie de Médicis se leva toute étonnée, et feignant la colère, congédia les dames et alla s'enfermer avec Gaston dans son cabinet, où, quelques instants après, la reine Anne entrait par une porte secrète.

Là fut refait le pacte, éternellement proposé par la reine Marie, d'un mariage entre Monsieur et la reine Anne, en cas de mort du roi. Ce mariage eût été pour Marie de Médicis une régence prolongée, et elle eût volontiers pardonné à Dieu de lui enlever son fils aîné s'il lui donnait cette compensation. Aussi, dans ce pacte, aveuglée par son intérêt, la reine Marie était-elle la seule à agir franchement parce qu'elle agissait dans ses intérêts.

Le duc d'Orléans avait ses engagements pris avec le duc de Lorraine, de la sœur duquel il était amoureux, et ne se souciait pas d'épouser la veuve de son frère, qui avait sept ans de plus que lui et le déplorable antécédent de Buckingham. La reine Anne, de son côté, détestait Monsieur, et, comme elle le détestait encore plus qu'elle ne le méprisait, elle ne se fiait pas à sa parole. Toutes promesses n'en furent pas moins échangées, et pour que l'on ne se doutât point de ce qui s'était passé dans ce cabinet, où d'ailleurs on ignorait la présence de la reine Anne, le bruit se répandit le lendemain que le duc d'Orléans n'était venu à Paris que pour signifier à sa mère la persistance de son amour pour la princesse de Mantoue et sa volonté bien arrêtée de profiter de l'absence de son frère pour l'épouser.

Ce bruit s'accrut encore de ce fait que, dès le lendemain de l'arrivée du duc, Marie de Médicis avait mandé près d'elle la jeune princesse et l'avait retenue au Louvre, où elle était à peu près prisonnière.

De son côté, Gaston faisait si grand bruit de cette opposition à ses plus vifs désirs, que tous les mécontents commencèrent à affluer chez lui, et qu'on lui donna à entendre que s'il voulait, en l'absence du roi, se déclarer ouvertement contre Richelieu, il trouverait bientôt un parti nombreux et puissant qui le soutiendrait non-seulement contre Richelieu, mais contre Louis XIII, dont la chute pourrait bien suivre celle de son ministre. Un fait d'une haute importance fit croire un instant que Gaston avait accepté les propositions qui lui avaient été faites. Le cardinal de La Valette, fils du duc d'Epernon, et le cardinal de Lyon, frère du duc de Richelieu, celui-là qui s'était si bravement conduit pendant la peste, étant venus ensemble faire une visite au duc d'Orléans, celui-ci fit mille politesses au cardinal de La Valette et laissa dans l'antichambre, sans vouloir le regarder ni lui dire un mot, le cardinal de Lyon.

Dès le lendemain de l'arrivée de Gaston à Paris, la reine-mère avait écrit à Louis XIII pour lui donner avis de ce retour, inattendu de tous, mais probablement attendu d'elle; de l'entrevue et des conventions faites entre sa belle-fille et son fils, elle ne dit pas un mot, bien entendu; mais elle appuya longuement sur l'amour de Gaston pour Marie de Gonzague.

Louis, qui était déjà à Troyes, annonça, au reçu de la lettre de Marie de Médicis, qu'il revenait à Paris; mais à Fontainebleau, un courrier lui apprit que Gaston, à la nouvelle de son retour, était immédiatement parti pour sa maison de Limours.

Trois jours après, la nouvelle arriva que le roi, au lieu de continuer son voyage, ferait ses pâques à Fontainebleau.

Qui avait pu déterminer chez le roi cette nouvelle résolution? Nous allons le dire.

Le soir où avait été tenu au Luxembourg le conseil entre la reine-mère, Gaston d'Orléans et la reine Anne, celle-ci trouva chez elle Mme de Fargis arrivant d'Espagne, où, comme nous l'avons dit, elle était allée pour soutenir le moral politique de son époux que l'on craignait de voir défaillir.

La guerre décidée entre la France et le Piémont, il n'était plus besoin de ce renfort à Madrid, et Mme de Fargis, au grand contentement d'Anne d'Autriche, fut rappelée à Paris.

La reine poussa donc un cri de joie en l'apercevant, et, comme l'ambassadrice mettait un genou en terre pour lui baiser la main, elle la releva et la pressa contre son cœur en l'embrassant.

– Je vois, dit en souriant Mme de Fargis, que je n'ai rien perdu, pendant ma longue absence, des bonnes grâces de Votre Majesté.

– Au contraire, ma chère amie, dit la reine, votre absence m'a fait apprécier votre fidélité, et jamais je n'ai eu autant besoin de vous que ce soir.

– J'arrive bien alors, et j'espère prouver à ma souveraine que, de loin comme de près, je m'occupe d'elle; mais que se passe-t-il donc, voyons, qui rend ici nécessaire la présence de votre humble servante?

La reine lui raconta le départ du roi, l'arrivée de Gaston et l'espèce de pacte qui en avait été la suite.

– Et Votre Majesté se fie à son beau-frère? demanda Mme de Fargis.

– Pas le moins du monde; la promesse qu'il m'a faite n'a pour but que de me faire attendre en endormant mes craintes.

– Le roi est-il donc plus mal?

– Moralement, oui; physiquement, non!

– Le moral est tout chez le roi, vous le savez bien, madame.

– Que faire? demanda la reine.

Puis plus bas:

– Vous savez, ma chère, que les astrologues affirment que le roi n'ira point au-delà du signe de l'Ecrevisse!

– Dame, dit la Fargis, j'ai proposé un moyen à Votre Majesté.

La reine sourit.

– Mais vous savez bien que je ne puis l'accepter, dit-elle.

– C'est fâcheux, c'est le meilleur; et la preuve, c'est que je me rencontre avec le roi d'Espagne, Philippe IV.

– Mon Dieu!

– Aimez-vous mieux vous en rapporter à la parole de cet homme qui jamais une fois n'a tenu sa parole.

La reine garda un instant le silence.

– Mais enfin, dit-elle en cachant sa tête dans la poitrine de sa confidente, en supposant, ma chère Fargis, qu'avec la permission de mon confesseur j'acceptasse – oh! rien que d'y penser j'ai honte – en supposant que j'acceptasse le moyen que vous me proposez, ce ne serait qu'à la dernière extrémité, et jusque-là, ne pourrait-on en tenter d'autres?

– Voulez-vous me permettre, chère maîtresse, à moi, dit madame de Fargis, en profitant de l'abandon de la reine pour passer un bras autour de son cou et en fixant sur elle ses yeux étincelants comme des diamants, voulez-vous me permettre de vous raconter une légende de la cour de Henri II, laquelle a rapport à la reine Catherine de Médicis?

– Dites, ma bien chère, fit la reine, en laissant aller sa tête avec un soupir sur l'épaule de la sirène, dont elle avait l'imprudence d'écouter la voix.

– Eh bien, la légende dit que la reine Catherine de Médicis, arrivée en France à l'âge de quatorze ans, et mariée aussitôt au jeune roi Henri II, fut, comme Votre Majesté, onze ans sans avoir d'enfants.

– Je suis mariée, moi, depuis quatorze ans! dit la reine.

– C'est-à-dire, fit en riant Mme de Fargis, que les noces de Votre Majesté datent de 1616, mais que son mariage ne date en réalité que de 1619.

– C'est vrai, dit la reine; et à quoi tenait cette stérilité de la reine Catherine? Le roi Henri II n'avait point, ce me semble, la même répugnance que le roi Louis XIII, et Mme Diane de Poitiers est là pour en faire foi.

– Il n'avait point de répugnance pour les femmes, non; mais pour sa femme il en avait.

– Croyez-vous que ce soit pour moi personnellement que le roi ait de la répugnance, Fargis? demanda vivement la reine.

– Pour Votre Majesté, ventre saint-gris, comme disait le roi son père, et comme dit mon gentil comte de Moret, auquel Votre Majesté ne fait point assez d'attention: il serait difficile!

Puis regardant, du même œil qu'eût fait Sapho, la reine qui piquée par ce doute, s'était redressée:

– Et où trouverait-il, continua-t-elle, de pareils yeux, une pareille bouche, de pareils cheveux et – passant la main sur le cou cambré de la reine – une pareille peau? Non, non, madame, non, ma reine, vous êtes belle de toutes les beautés; mais par malheur pour elle, Catherine de Médicis n'avait rien de tout cela, tout au contraire: née d'un père et d'une mère morts de cette méchante maladie qui régnait alors, elle avait la peau froide et visqueuse d'un serpent.

– Que me dites-vous là? ma chère?

– La vérité. De sorte que, quand le jeune roi, habitué à cette peau blanche et satinée de Mme de Brézé, sentit se glisser à ses côtés ce cadavre vivant, il s'écria que ce n'était point une fleur du jardin Pitti qu'on lui avait envoyée, mais un ver du tombeau des Médicis.

– Tais-toi, Fargis tu me fais froid.

– Eh bien, ma belle reine, cette répugnance du roi Henri pour sa femme, qui la surmonta? Celle qui avait intérêt à ce qu'elle cessât, cette même Diane de Poitiers, qui, si le roi mourait sans enfants, tombait sous la puissance d'un autre duc d'Orléans ne valant pas beaucoup mieux que le nôtre.

– Où veux-tu en arriver?

– A ceci, que si le roi pouvait devenir amoureux d'une femme du dévouement de laquelle nous fussions sûres, cette femme, grâce aux sentiments religieux du roi, le ramènerait bientôt à Votre Majesté, et qu'alors…

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10 aprel 2017
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