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Le Speronare

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– C'est pas étonnant, dit Pietro, il avait trois pouces de fer dans la poitrine; on tournerait de l'oeil à moins.

– Je restai deux ou trois jours sans connaissance, je ne sais pas au juste. En revenant à moi, je trouvai Nunzio, le pilote, celui qui est là, à mon chevet; il ne m'avait pas quitté, le vieux cormoran. Aussi, il le sait bien, entre nous c'est à la vie, à la mort. N'est-ce pas, Nunzio?

– Oui, capitaine, répondit le pilote en levant son bonnet comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il répondait à quelqu'une de nos questions.

– Tiens, lui dis-je, pilote, c'est vous?

– Oh! il me reconnaît, cria le pilote, il me reconnaît. Alors ça va bien.

– Vous le voyez, Nunzio: il n'est pas bien gai, n'est-ce pas?

– Non, le fait est qu'il n'en a pas l'air.

– Eh bien! le voilà qui se met à danser comme un fou autour de mon lit.

– C'est que j'étais content, dit le pilote.

– Oui, reprit le capitaine, tu étais content, mon vieux, ça se voyait. Mais d'où est-ce que je reviens donc? lui demandai-je. – Ah! vous revenez de loin, me répondit-il. En effet, je commençais à me rappeler. Oui, oui, c'est juste, dis-je. Je me souviens, c'est un farceur qui m'a donné un coup de couteau; eh bien! au moins est-il arrêté, l'assassin?

– Ah bien, oui, arrêté! dit le pilote: il court encore.

– Cependant on savait qui, repris-je. C'était, c'était, attends donc, ils l'ont nommé; c'était Gaëtano Sferra, je me rappelle bien.

– Eh bien! Voilà ce qui vous trompe, capitaine, c'est que ce n'était pas lui. Tout cela, c'est une drôle d'histoire, allez.

– Comment ce n'était pas lui?

– Ah! non, ça ne pouvait pas être lui, puisque Gaëtano Sferra avait été condamné le matin à mort pour avoir donné un coup de couteau; qu'il était en prison où il attendait le prêtre, et qu'il devait être exécuté le lendemain. C'en est un autre qui lui ressemble, à ce qu'il paraît, quelque frère jumeau, peut-être.

– Ah! dis-je. Moi, au fait, je ne sais pas si c'est lui, je ne le connais pas.

– Comment, pas du tout?

– Pas le moins du monde.

– Ce n'est pas pour quelque petite affaire d'amour, hein?

– Non, parole d'honneur, vieux, je ne connais personne à Malte.

– Et vous ne savez pas pourquoi il vous en voulait, cet enragé-là?

– Je n'en sais rien.

– Alors n'en parlons plus.

– C'est égal, repris-je, c'est embêtant tout de même d'avoir un coup de couteau dans la poitrine, et de ne pas savoir pourquoi on l'a reçu ni qui vous l'a donné. Mais, si jamais je le rencontre, il aura affaire à moi, Nunzio, je ne te dis que cela.

– Et vous aurez raison, capitaine. En ce moment Pietro ouvrit la porte de ma chambre.

– Eh! Pilote, dit-il, c'est le juge.

– Tiens, tu es là aussi, Pietro, m'écriai-je.

– Un peu, capitaine, que je suis là, et que je n'en ai pas quitté, encore.

C'est vrai tout de même; il était dans l'antichambre pour empêcher qu'on ne fît du bruit; et comme il entendait que nous devisions, Nunzio et moi, il avait ouvert la porte.

– Ça va donc mieux? dit Vicenzo en passant la tête à son tour.

– Ah ça! mais, repris-je, vous y êtes donc tous?

– Non, il n'y a que nous trois, capitaine, les autres sont au speronare; seulement, ils viennent voir deux fois par jour comment vous allez.

– Et comme je vous le disais, capitaine, reprit Pietro, c'est le juge.

– Eh bien! Fais-le entrer, le juge.

– Capitaine, c'est qu'il n'est pas seul.

– Avec qui est-il?

– Il est avec celui qu'on prenait pour votre assassin.

– Ah! ah! dis-je.

– Je vous demande pardon, monsieur le juge, dit Nunzio, c'est que le capitaine n'est pas encore bien crâne, attendu qu'il n'y a qu'un quart d'heure qu'il a ouvert les yeux, et qu'il n'y a que dix minutes qu'il parle, et nous avons peur.

– Alors nous reviendrons demain, dit une voix.

– Non, non, répondis-je; puisque vous voilà, entrez tout de suite, allez.

– Entrez, puisque le capitaine le veut, reprit Pietro en ouvrant la porte.

Le juge entra; il était suivi d'un jeune homme qui avait les mains liées et qui était conduit par des soldats; derrière le jeune homme marchaient deux individus habillés de noir; c'étaient les greffiers.

– Capitaine Arena, dit le juge, c'est bien vous qui avez été frappé d'un coup de couteau à la porte du café Grec?

– Pardieu! oui, c'est bien moi, et la preuve (je relevai le drap et je montrai ma poitrine), c'est que voilà le coup.

– Reconnaissez-vous, continua-t-il en me montrant le prisonnier, ce jeune homme pour celui qui vous a frappé?

Mes yeux se rencontrèrent en ce moment avec ceux du jeune homme, et je reconnus son regard comme j'avais déjà reconnu son visage; seulement, comme je savais que ma déclaration le tuait du coup, j'hésitais à la faire.

Le juge vit ce qui se passait en moi, alla au crucifix suspendu à la muraille, le prit, et me l'apportant: – Capitaine, me dit-il, jurez sur le Christ de dire toute la vérité, rien que la vérité.

J'hésitais.

– Faites le serment qu'on vous demande, dit le prisonnier, et parlez en conscience.

– Eh bien! ma foi! repris-je, puisque c'est vous qui le voulez…

– Oui, je vous en prie.

– En ce cas-là, repris-je en étendant la main sur le crucifix, je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

– Bien, dit le juge. Maintenant, répondez. Reconnaissez-vous ce jeune homme pour être celui qui vous a frappé d'un coup de couteau?

– Parfaitement.

– Alors vous affirmez que c'est lui?

– Je l'affirme.

Il se retourna vers les deux greffiers. – Vous le voyez, dit-il, le blessé lui-même est trompé par cette étrange ressemblance.

Quant au jeune homme, un éclair de joie passa sur son visage. Je trouvai cela un peu étrange, attendu qu'il me semblait que ce que je venais de déposer ne devait pas le faire rire.

– Ainsi, vous persistez, reprit le juge, à affirmer que ce jeune homme est bien celui qui vous a frappé?

Je sentis que le sang me montait à la tête; car, vous comprenez, il avait l'air de dire que je mentais.

– Si je persiste? je le crois pardieu bien! et à telle enseigne qu'il était nu-tête, qu'il avait une redingote noire, un pantalon gris, et qu'il venait par la petite ruelle qui conduit à la prison.

– Gaëtano Sferra, dit le juge, qu'avez-vous à répondre à cette déposition?

– Que cet homme se trompe, répondit le prisonnier, comme se sont trompés tous ceux qui étaient au café.

– C'est évident, dit le juge en se retournant une seconde fois vers les greffiers.

– Je me trompe! m'écriai-je en me soulevant malgré ma faiblesse; ah bien! par exemple, en voilà une sévère! Ah! je me trompe!

– Capitaine! s'écria Nunzio, capitaine! Oh mon Dieu! mon Dieu!

– Ah! je me trompe! repris-je. Eh bien! je vous dis, moi, que je ne me trompe pas.

– Le médecin, le médecin! cria Pietro.

En effet, l'effort que j'avais fait en me levant avait dérangé l'appareil, et ma blessure s'était rouverte, de sorte qu'elle saignait de plus belle. Je sentis que je m'en allais de nouveau; toute la chambre valsait autour de moi, et, au milieu de tout cela, je voyais les yeux du prisonnier fixés sur moi avec une expression de joie si étrange, que je fis un dernier mouvement pour lui sauter au cou et l'étrangler. Ce mouvement épuisa ce qu'il me restait de force; un nuage sanglant passa devant mes yeux; je sentis que j'étouffais, je me renversai en arrière, puis je ne sentis plus rien: j'étais retombé dans mon évanouissement.

Celui-là ne dura que sept ou huit heures, et j'en revins comme du premier. Cette fois le médecin était auprès de moi: Pietro l'avait amené, et Nunzio n'avait pas voulu le laisser partir. J'essayai de parler, mais il me mit un doigt sur la bouche en me faisant signe de me taire. J'étais si faible, que j'obéis comme un enfant.

– Allons, ça va mieux, dit le médecin. Du silence, la diète la plus absolue, et humectez-lui de temps en temps la blessure avec de l'eau de guimauve. Tout ira bien. Surtout ne lui laissez voir personne.

– Ah! quant à cela, vous pouvez être tranquille. Quand ce serait le Père éternel lui-même qui frapperait à la porte, je lui répondrais: Vous demandez le capitaine? – Oui. – Eh bien! Père éternel, il n'y est pas.

– Et puis, d'ailleurs, dit Pietro, nous étions là, nous autres, pour veiller à la porte et envoyer promener les juges et les greffiers, s'ils se représentaient.

– Si bien, pour en finir, reprit le capitaine, que personne ne vint que le médecin, que je ne parlai que quand il m'en donna la permission, et que tout alla bien, comme il l'avait dit. Au bout d'un mois je fus sur mes jambes; au bout de six semaines je pus regagner le bâtiment. Quant à l'Anglais, il était parti; mais c'était un brave homme tout de même. Il avait payé à Nunzio le prix convenu, comme s'il avait fait tout le voyage, et il avait encore laissé une gratification à l'équipage.

– Oui, oui, dit Pietro, qui n'était pas fâché sans doute de me donner la mesure de la générosité de l'Anglais, trois piastres par homme. Aussi nous avons joliment bu à sa santé, n'est-ce pas les autres?

– Dame! il l'avait bien mérité, répondit en choeur l'équipage.

– Et vous, capitaine, que fîtes-vous?

– Moi? eh bien! la mer me remit. Je respirais à pleine poitrine, j'ouvrais la bouche que l'on aurait cru que je voulais avaler tout le vent qui venait de la Grèce; un fameux vent, allez. Si nous l'avions seulement pour nous conduire à Palerme, nous y serions bientôt; mais nous ne l'avons pas.

– Peut-être bien que nous ne tarderons pas à en avoir un autre, dit le pilote; mais celui-là ce ne sera pas la même chose.

– Un peu de sirocco, hein? n'est-ce pas, vieux? demanda le capitaine.

Nunzio fit un signe de tête affirmatif.

 

– Et puis? repris-je, voulant la suite de mon histoire.

– Eh bien! je revins au village Della Pace, où ma femme, que j'avais laissée grosse de Peppino, avait eu une si grande peur, qu'elle en était accouchée avant terme. Heureusement que ça n'avait fait de mal ni à la mère ni à l'enfant; et depuis ce temps-là je me porte bien, à l'exception, comme je vous le disais, que quand je nage trop longtemps, la respiration me manque.

– Mais ce n'est pas tout, dis-je au capitaine, et vous avez fini par avoir l'explication de ce singulier quiproquo?

– Attendez donc, reprit-il, nous ne sommes qu'à la moitié de l'histoire, et encore c'est le plus beau qui me reste à vous raconter. Malheureusement je crois que c'est là que j'ai eu tort!

– Mais non, mais non, dit Pietro; mais je vous dis que non.

– Heu! heu! dit le capitaine.

– Je vous écoute, repris-je.

– Il y avait déjà un an que l'aventure était arrivée, lorsque je retrouvai l'occasion de retourner à Malte. Ma femme ne voulait pas m'y laisser aller; pauvre femme! elle croyait que cette fois-là j'y laisserais mes os; mais je la rassurai de mon mieux. D'ailleurs c'était justement une raison, puisqu'il m'était arrivé du mal à un premier voyage, pour qu'il m'arrivât du bien au second; tant il y a que j'acceptai le chargement. Cette fois il n'était pas question de voyageurs, mais de marchandises.

En effet, la traversée fut excellente; c'était de bon augure. Cependant, je l'avoue, je n'avais pas grand plaisir à rentrer à Malte; aussi, mes petites affaires faites, je revenais bien vite sur le speronare. Bref, j'allais partir le lendemain, et j'étais en train de faire un somme dans la cabine, quand Pietro entra.

– Capitaine, me dit-il, pardon de vous réveiller; mais c'est une femme qui dit qu'elle a besoin de vous parler pour affaires.

– Une femme! et où est-elle, cette femme? demandai-je en me frottant les yeux.

– Elle est en bas, dans un petit canot.

– Toute seule?

– Avec un rameur.

– Et quelle est cette femme?

– Je lui ai demandé son nom; mais elle m'a répondu que cela ne me regardait pas, qu'elle avait affaire à vous, et non pas à moi.

– Est-elle jeune? est-elle jolie?

– Ah! ceci, c'est autre chose: je ne peux pas dire, car elle a un voile, et il est impossible de rien voir au travers.

– C'est vrai ça, elle avait l'air d'une religieuse, interrompit Pietro.

– Alors, fais-la monter, repris-je.

Pietro sortit. Je me mis derrière une table, et j'ouvris tout doucement mon couteau. J'étais devenu défiant en diable depuis mon aventure; et comme je ne connaissais pas de femmes, je pensais que ça pourrait bien être un homme déguisé. Mais, une fois prévenu, c'est bon. Un homme prévenu, comme on dit, en vaut deux. Puis, sans me vanter, je manie assez proprement le couteau moi aussi.

– Je crois bien, dit Pietro: vous êtes modeste, capitaine. Voyez-vous, excellence, le capitaine, c'est le plus fort que je connaisse. A un pouce, à deux pouces, à toute la lame, il se bat comme on veut; cela lui est égal, à lui.

– Mais au premier coup d'oeil, continua le capitaine, je vis bien que je m'étais trompé, et que c'était bien une femme; et une pauvre petite femme qui avait grand peur encore, car on voyait sous son voile qu'elle tremblait de tous ses membres. Je remis mon couteau dans ma poche, et je m'approchai d'elle.

– Qu'y a-t-il pour votre service, madame? lui demandai-je.

– Vous êtes le capitaine de ce petit bâtiment? répondit-elle.

– Oui, madame.

– Avez-vous quelque affaire qui vous retienne dans le port?

– Je comptais partir demain matin.

– Avez-vous des passagers maltais?

– Aucun.

– Faites-vous voile plus particulièrement pour un point de la Sicile que pour l'autre?

– Je comptais rentrer dans le port de Messine.

– Voulez-vous gagner quatre cents ducats?

– Belle demande! Je crois pardieu bien que je le veux! si toutefois, vous le comprendrez bien, la chose ne peut pas me compromettre.

– En aucune façon.

– Que faut-il faire?

– Il faut venir cette nuit avec votre speronare à la pointe Saint-Jean, à une heure du matin. Vous enverrez votre canot à terre. Un passager attendra sur le rivage; il vous dira Sicile, vous lui répondrez Malte. Vous le ramènerez à bord, et vous le déposerez dans l'endroit de la Sicile qui vous conviendra le mieux. Voilà tout.

– Dame! c'est faisable, répondis-je; et vous dites que pour cela…

– Il y a une prime de quatre cents ducats, deux cents ducats comptant: les voilà (l'inconnue tira une bourse et la jeta sur la table); deux cents ducats qui vous seront remis par le passager lui-même en touchant la terre.

– Eh! mais, dites donc, repris-je, il faut au moins que je vous fasse une obligation moi, une reconnaissance, quelque chose, un petit papier enfin.

– A quoi bon? Vous êtes honnête homme ou vous ne l'êtes pas. Si vous êtes honnête homme, votre parole suffit; si vous ne l'êtes pas, vous comprenez, aux précautions que je prends, au secret que je vous demande, que votre papier ne peut me servir à rien, et que je ne suis pas en mesure de le faire valoir devant les tribunaux.

– Par quel hasard vous êtes-vous adressée à moi, alors?

– Je me promenais aujourd'hui sur le port, ne sachant à qui m'adresser pour le service que je réclame de vous. Je vous ai vu passer, votre figure ouverte m'a plu, vous avez monté dans votre canot, vous êtes venu droit au petit bâtiment où nous sommes, j'ai deviné que vous en étiez le capitaine; j'ai attendu la nuit: la nuit venue, je m'y suis fait conduire à mon tour, j'ai demandé à vous parler, et me voilà.

– Oh! quant à ce qui est d'être franc et honnête, répondis-je, vous ne pouviez pas mieux vous adresser.

– Eh bien! c'est tout ce qu'il me faut, répondit l'inconnue en me tendant la main; une jolie petite main, ma foi! que j'avais même grande envie de la prendre et de la baiser; c'est chose convenue.

– Vous avez ma parole.

– Vous n'oublierez pas le mot d'ordre?

– Sicile et Malte.

– C'est bien: à une heure, à la pointe Saint-Jean.

– A une heure.

L'inconnue redescendit dans le bateau et regagna la terre; à dix heures nous levâmes l'ancre. La pointe Saint-Jean est une espèce de cap qui s'avance dans la mer vers la partie méridionale de Malte, à une lieue et demie de la ville, ce qui, par mer, faisait une distance de cinq ou six milles à peu près. Mais comme le vent était mauvais, il fallait franchir cette distance à la rame; comme vous comprenez, il n'y avait pas de temps à perdre.

A minuit et demi, nous étions à un demi-mille de la porte Saint-Jean. Ne voulant pas m'approcher davantage, de peur d'être vu, je mis en panne, et j'envoyai Pietro à terre avec le canot. Je le vis s'enfoncer dans l'obscurité, se confondre avec la côte et disparaître; un quart d'heure après il reparut. Le passager était assis à l'arrière du canot, tout s'était donc bien passé.

J'avais fait préparer la cabine de mon mieux: j'y avais fait transporter mon propre matelas; d'ailleurs, comme avec le vent qui soufflait nous devions être le lendemain à Messine, je pensais que, si difficile que fût notre hôte, une nuit est bientôt passée. Puis, il y a des circonstances où les gens les plus délicats passent volontiers sur certaines choses, et, il faut le dire, notre passager me paraissait être dans une de ces circonstances-là.

Ces réflexions firent que, par délicatesse, et pour ne point paraître trop curieux, je descendis dans l'entrepont, tandis qu'il montait à bord. De son côté, le passager alla droit à la cabine sans regarder personne et sans dire une seule parole; seulement il laissa deux onces [Note: L'once est une monnaie sicilienne qui vaut 12 F.] dans la main que Pietro lui tendit pour l'aider à monter l'escalier. Au bout de cinq minutes, quand le canot fut amarré, Pietro vint me rejoindre.

– Tenez, capitaine, me dit-il, voici deux onces à ajouter à la masse.

– Ils n'ont, voyez-vous, interrompit le capitaine, qu'une bourse pour eux tous; seulement je suis le caissier: à la fin du voyage je fais les comptes de chacun et tout est dit.

– Eh bien! demandai-je à Pietro, comment cela s'est-il passé?

– Mais à merveille, répondit-il; il était là qui attendait avec la femme voilée qui était venue à bord, et il paraît même qu'il était impatient de me voir; car, à peine m'eut-il aperçu, qu'il embrassa l'autre, et qu'il vint au-devant de moi, ayant de l'eau jusqu'aux genoux; alors nous avons échangé le mot d'ordre, et il est monté à bord. Tant que la femme a pu le voir, elle est restée sur la côte à nous regarder et à nous faire des signes avec son mouchoir. Puis, quand nous avons été trop loin, nous avons entendu une voix qui nous criait bon voyage; c'était encore elle, la pauvre femme!

– Et as-tu vu notre passager?

– Non, il s'est caché la figure dans son manteau, seulement, à sa voix et à sa tournure, ça m'a l'air d'un jeune homme, l'amant de l'autre probablement.

– C'est bien: va dire aux camarades de déployer la voile, et à Nunzio de gouverner sur Messine.

Pietro remonta sur le pont, transmit l'ordre que j'avais donné, et dix minutes après nous marchions que c'était plaisir. Je ne tardai pas à le suivre sur le pont: je ne sais pourquoi je ne pouvais dormir. D'ailleurs, le temps était si beau, il ventait un si bon vent, il faisait un si magnifique clair de lune, que c'était péché que de s'enfermer dans un entrepont avec une pareille nuit.

Je trouvai le pont solitaire; tous les camarades étaient rentrés dans leur écoutille et dormaient à qui mieux mieux; il n'y avait que Nunzio qui veillait comme d'habitude; mais, attendu qu'il était caché derrière la cabine, on ne le voyait pas, si bien qu'on aurait cru que le bâtiment marchait tout seul.

Il était deux heures et demie du matin à peu près, nous avions déjà laissé Malte bien loin derrière nous, et je me promenais de long en large sur le pont, pensant à ma petite femme et aux amis que nous allions retrouver, quand tout à coup je vis s'ouvrir la cabine et paraître le passager. Son premier coup d'oeil fut pour s'assurer de l'endroit où nous étions. Il vit Malte, qui ne paraissait plus que comme un point noir, et il me sembla qu'à cette vue il respirait plus librement. Cela me rappela les précautions qu'il avait prises en montant à bord; et craignant de le contrarier en restant sur le pont, je m'acheminai vers l'écoutille de l'avant pour pénétrer dans l'entrepont, lorsque, faisant deux ou trois pas de mon côté:

– Capitaine, me dit-il.

Je tressaillis: il me sembla que j'avais déjà entendu cette voix quelque part comme dans un rêve. Je me retournai vivement.

– Capitaine, reprit-il en continuant de s'avancer vers moi, pensez-vous, si ce vent-là continue, que nous soyons demain soir à Messine?

Et à mesure qu'il s'approchait, je croyais reconnaître son visage, comme j'avais cru reconnaître sa voix. A mon tour, je fis quelques pas vers lui; alors il s'arrêta en me regardant fixement et comme pétrifié. A mesure que la distance devenait moindre entre nous, mes souvenirs me revenaient, et mes soupçons se changeaient en certitude. Quant à lui, il était visible qu'il aurait mieux aimé être partout ailleurs qu'où il était; mais il n'y avait pas moyen de fuir, nous avions de l'eau tout autour de nous, et la terre était déjà à plus de trois lieues. Néanmoins, il recula devant moi jusqu'au moment où la cabine l'empêcha d'aller plus loin. Je continuai de m'avancer jusqu'à ce que nous nous trouvassions face à face. Nous nous regardâmes un instant sans rien dire, lui pâle et hagard, moi avec le sourire sur les lèvres, et cependant je sentais que moi aussi je pâlissais, et que tout mon sang se portait à mon coeur; enfin, il rompit le premier le silence.

– Vous êtes le capitaine Giuseppe Arena, me dit-il d'une voix sourde.

– Et vous l'assassin Gaëtano Sferra, répondis-je.

– Capitaine, reprit-il, vous êtes honnête homme, ayez pitié de moi, ne me perdez pas.

– Que je ne vous perde pas! comment l'entendez-vous?

– J'entends que vous ne me livriez point; en arrivant en Sicile, je doublerai la somme qui vous a été promise.

– J'ai reçu deux cents ducats pour vous conduire à Messine; vous devez m'en donner deux cents autres en débarquant; je toucherai ce qui est promis, pas un grain de plus.

– Et vous remplirez l'obligation que vous avez prise, n'est-ce pas, de me mettre à terre sain et sauf?

– Je vous mettrai à terre sans qu'il soit tombé un cheveu de votre tête; mais, une fois à terre, nous avons un petit compte à régler: je vous redois un coup de couteau pour que nous soyons quittes.

 

– Vous m'assassinerez, capitaine?

– Misérable! lui dis-je; c'est bon pour toi et pour tes pareils d'assassiner.

– Eh bien! alors, que voulez-vous dire?

– Je veux dire que, puisque vous jouez si bien du couteau, nous en jouerons ensemble; toutes les chances sont pour vous, vous avez déjà la première manche.

– Mais je ne sais pas me battre au couteau, moi.

– Bah! laissez donc, répondis-je en écartant ma chemise et en lui montrant ma poitrine, ce n'est pas à moi qu'il faut dire cela; d'ailleurs, ce n'est pas difficile: on se met chacun dans un tonneau, on se fait lier le bras gauche autour du corps, on convient de se battre à un pouce, à deux pouces ou à toute la lame, et on gesticule. Quant à ce dernier point, c'est déjà réglé; et, sauf votre plaisir, nous nous battrons à toute lame, car vous avez si bien frappé, qu'il n'en était pas resté une ligne hors de la blessure.

– Et si je refuse?

– Ah! si vous refusez, c'est autre chose: je vous mettrai à terre comme j'ai dit, je vous donnerai une heure pour gagner la montagne, et puis je préviendrai le juge; alors, c'est à vous de bien vous tenir, parce que, si vous êtes pris, voyez-vous, vous serez pendu.

– Et si j'accepte le duel et que je vous tue?

– Si vous me tuez, eh bien! tout sera dit.

– Ne me poursuivra-t-on pas?

– Qui cela? mes amis?

– Non, la justice!

– Allons donc! est-ce qu'il y a un seul Sicilien qui déposerait contre vous parce que vous m'auriez tué loyalement? Pour m'avoir assassiné, à la bonne heure.

– Eh bien! je me battrai; c'est dit.

– Alors, dormez tranquille, nous recauserons de cela à Contessi ou à la Scaletta. Jusque-là, le bâtiment est à vous, puisque vous le payez; promenez-vous-y en long et en large; moi, je rentre chez moi.

Je descendis dans l'écoutille. Je réveillai Pietro, et je lui racontai tout ce qui venait de se passer. Quant à Nunzio, c'était inutile de lui rien raconter à lui; il avait tout entendu.

– C'est bon, capitaine, dit Pietro; soyez tranquille, nous ne le perdrons pas de vue.

Le lendemain, à deux heures de l'après-midi, nous arrivâmes à la Scaletta; je consignai l'équipage sur le bâtiment, et nous descendîmes dans le canot, Gaëtano Sferra, Pietro, Nunzio et moi.

En mettant pied à terre, Nunzio et Pietro se placèrent l'un à droite, l'autre à gauche de notre homme, de peur qu'il ne lui prît envie de s'échapper; il s'en aperçut.

– Vos précautions sont inutiles, capitaine, me dit-il; du moment où il s'agit d'un duel, que ce soit au pistolet, à l'épée ou au couteau, cela ne fait rien, je suis votre homme.

– Ainsi, repris-je, vous me donnez votre parole d'honneur que vous ne chercherez pas à vous échapper?

– Je vous la donne.

Je fis un signe à Nunzio et à Pietro, et ils le laissèrent marcher seul.

– C'est égal, dit Pietro se mêlant de nouveau à la conversation, nous ne le perdions pas de vue, tout de même.

– N'importe. Tant il y a, reprit le capitaine, qu'à partir de ce moment-là il n'y a rien à dire sur lui.

– Aussi, je ne dis rien, reprit Pietro.

– Nous continuâmes de suivre le chemin, et au bout de dix minutes nous étions chez le père Matteo, un bon vieux Sicilien dans l'âme, celui-là, et qui tient une petite auberge à l'Ancre d'or.

– Bonjour, père Matteo, lui dis-je. Voilà ce que c'est: nous avons eu des mots ensemble, monsieur et moi, nous voudrions nous régaler d'un petit coup de couteau; vous avez bien une chambre à nous prêter pour cela, n'est-ce pas?

– Deux, mes enfants, deux, dit le père Matteo.

– Non pas; deux, ce serait de trop, mon brave, une seule suffira. Puis, s'il s'ensuivait quelque chose (nous sommes tous mortels, et un malheur est bien vite arrivé), enfin, s'il s'ensuivait quelque chose, vous savez ce qu'il y a à dire. Nous étions à dîner, monsieur et moi, nous nous sommes pris de dispute, nous avons joué des couteaux, et voilà; bien entendu que, s'il y en a un de tué, c'est celui-là qui aura eu tous les torts.

– Tiens, cela va sans dire, répondit le père Matteo.

– Si je tue monsieur, je n'ai pas de recommandation à vous faire, on l'enterrera décemment et comme un bourgeois doit être enterré; c'est moi qui paie. Si monsieur me tue, il y a de quoi faire face aux frais dans le speronare. D'ailleurs, vous me feriez bien crédit, n'est-ce pas, père Matteo?

– Sans reproche, ça ne serait pas la première fois, capitaine.

– Non, mais ça serait la dernière. Dans ce cas-là, père Matteo, comprenez bien ceci: moi tué, monsieur est libre comme l'air, entendez-vous bien? Il va où il veut et comme il veut: et si on l'arrête, c'est moi qui lui ai cherché noise; j'étais en train, j'avais bu un coup de trop, et il ne m'a donné que ce que je méritais: vous entendez!

– Parfaitement.

– Maintenant, prépare le dîner, vieux. Toi, Pietro, va-t'en acheter deux couteaux exactement pareils; tu sais comme il les faut. Toi, Nunzio, tu t'en iras trouver le curé. A propos, repris-je en me retournant vers Gaëtano qui avait écouté tous ces détails avec une grande indifférence, je dois vous prévenir que je commande une messe; elle ne sera dite que demain matin, mais c'est égal, l'intention y est. Si vous voulez en commander une de votre côté pour que je n'aie pas d'avantage sur vous, et que Dieu ne soit ni pour l'un ni pour l'autre, vous en êtes le maître; c'est fra Girolamo qui dit les meilleures,

– Merci, me répondit Gaëtano; vous ne pensez pas, j'espère, que je crois à toutes ces bêtises.

– Vous n'y croyez pas! vous n'y croyez pas, dites-vous? tant pis; moi j'y crois, monsieur. Nunzio, tu iras commander la messe chez fra Girolamo, entends-tu, pas chez un autre.

– Soyez tranquille, capitaine.

Pietro et Nunzio sortirent pour s'acquitter chacun de la mission dont il était chargé. Je restai seul avec Gaëtano Sferra et le vieux Matteo.

– Maintenant, monsieur, dis-je en m'approchant de Gaëtano, si au moment où nous sommes arrivés, vous n'avez rien à faire avec Dieu, vous avez sans doute quelque chose à faire avec le monde. Vous avez un père, une mère, une maîtresse, quelqu'un enfin qui s'intéresse à vous et que vous aimez. Matteo, du papier et de l'encre. Faites comme moi, monsieur, écrivez à cette personne, et si je vous tue, foi d'Arena! la lettre sera fidèlement remise.

– Ceci, c'est autre chose, et vous avez raison, dit Gaëtano en prenant le papier et l'encre des mains du vieux Matteo, et en se mettant à écrire.

Je m'assis à la table qui était en face de la sienne, et je me mis à écrire de mon côté. Il va sans dire que la lettre que j'écrivais était pour ma pauvre femme.

Comme nous finissions, Nunzio et Pietro rentrèrent.

– La messe est commandée, dit Nunzio.

– A fra Girolamo?

– A lui-même.

– Voici les deux couteaux, dit Pietro, c'est une piastre les deux.

– Chut! dis-je.

– Non, non, dit Gaëtano; il est juste que je paie le mien et vous le vôtre. D'ailleurs, nous avons un compte à régler, capitaine. Je vous redois deux cents ducats, car vous m'avez, selon nos conventions, fidèlement remis à terre.

– Que cela ne vous inquiète pas, rien ne presse.

– Cela presse fort, au contraire, capitaine. Voici les deux cents ducats. Quant à vous, mon ami, continua-t-il en s'adressant à Pietro, voici deux onces pour l'achat du couteau.

– Je vous demande pardon, monsieur, dit Pietro; le couteau coûte cinq carlins, et non pas deux onces. Je ne reçois pas de bonne main pour une pareille chose.

– Je crois bien! dit Pietro interrompant encore; un couteau qui pouvait tuer le capitaine!

– Maintenant, reprit Gaëtano Sferra, quand vous voudrez; je vous attends.

– Vous êtes servis, dit le vieux Matteo en rentrant de sa cuisine.

– Montons donc, dis-je à Gaëtano.

Nous montâmes. Je suivais Gaëtano par derrière; il marchait d'un pas ferme: je demeurai convaincu que cet homme était brave. C'était à n'y plus rien comprendre.

Comme l'avait dit Matteo, nous étions servis. Un bout de la table, couvert d'une nappe et de tout l'accompagnement nécessaire, supportait le dîner. L'autre bout était resté vide, et un tonneau défoncé par un bout était disposé de chaque côté pour nous recevoir quand il nous plairait de commencer.

Pietro déposa un couteau de chaque côté de la table.

– Si vous connaissez ici quelqu'un, et que vous désiriez l'avoir pour témoin, dis-je à Gaëtano, vous pouvez l'envoyer chercher, nous attendrons.