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Kitabı oxu: «Le Rosier de Mme Husson», səhifə 2

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Il fut lavé, sermonné, enfermé, et pendant quatre jours ne sortit point. Il semblait honteux et repentant. On n’avait retrouvé sur lui ni la bourse aux cinq cents francs, ni le livret de caisse d’épargne, ni même sa montre d’argent, héritage sacré laissé par son père le fruitier.

Le cinquième jour, il se risqua dans la rue Dauphine. Les regards curieux le suivaient et il allait le long des maisons la tête basse, les yeux fuyants. On le perdit de vue à la sortie du pays vers la vallée; mais deux heures plus tard il reparut, ricanant et se heurtant aux murs. Il était ivre, complètement ivre.

Rien ne le corrigea.

Chassé par sa mère, il devint charretier et conduisit les voitures de charbon de la maison Pougrisel, qui existe encore aujourd’hui.

Sa réputation d’ivrogne devint si grande, s’étendit si loin, qu’à Évreux même on parlait du Rosier de Mme Husson, et les pochards du pays ont conservé ce surnom.

Un bienfait n’est jamais perdu.

…………………

Le Dr Marambot se frottait les mains en terminant son histoire. Je lui demandai:

– As-tu connu le Rosier, toi?

– Oui, j’ai eu l’honneur de lui fermer les yeux.

– De quoi est-il mort?

– Dans une crise de delirium tremens, naturellement.

Nous étions arrivés près de la vieille forteresse, amas de murailles ruinées que dominent l’énorme tour Saint-Thomas de Cantorbéry et la tour dite du Prisonnier.

Marambot me conta l’histoire de ce prisonnier qui, au moyen d’un clou, couvrit de sculptures les murs de son cachot, en suivant les mouvements du soleil à travers la fente étroite d’une meurtrière.

Puis j’appris que Clotaire II avait donné le patrimoine de Gisors à son cousin saint Romain, évêque de Rouen, que Gisors cessa d’être la capitale de tout le Vexin après le traité de Saint-Clair-sur-Epte, que la ville est le premier point stratégique de toute cette partie de la France et qu’elle fut, par suite de cet avantage, prise et reprise un nombre infini de fois. Sur l’ordre de Guillaume le Roux, le célèbre ingénieur Robert de Bellesme y construisit une puissante forteresse attaquée plus tard par Louis le Gros, puis par les barons normands, défendue par Robert de Candos, cédée enfin à Louis le Gros par Geoffroy Plantagenet, reprise par les Anglais à la suite d’une trahison des Templiers, disputée entre Philippe-Auguste et Richard Coeur de Lion, brûlée par Édouard III d’Angleterre qui ne put prendre le château, enlevée de nouveau par les Anglais en 1419, rendue plus tard à Charles VII par Richard de Marbury, prise par le duc de Calabre, occupée par la Ligue, habitée par Henri IV, etc., etc… etc.

Et Marambot, convaincu, presque éloquent, répétait:

«Quels gueux, ces Anglais!!! Et quels pochards, mon cher; tous Rosiers, ces hypocrites-là».

Puis après un silence, tendant son bras vers la mince rivière qui brillait dans la prairie:

– Savais-tu qu’Henry Monnier fût un des pêcheurs les plus assidus des bords de l’Epte?

– Non, je ne savais pas.

– Et Bouffé, mon cher, Bouffé a été ici peintre vitrier.

– Allons donc!

– Mais oui. Comment peux-tu ignorer ces choses-là?

Un échec

J’allais à Turin en traversant la Corse.

Je pris à Nice le bateau pour Bastia, et, dès que nous fûmes en mer, je remarquai, assise sur le pont, une jeune femme gentille et assez modeste, qui regardait au loin. Je me dis: «Tiens, voilà ma traversée».

Je m’installai en face d’elle et je la regardai en me demandant tout ce qu’on doit se demander quand on aperçoit une femme inconnue qui vous intéresse: sa condition, son âge, son caractère. Puis on devine, par ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas. On sonde avec l’oeil et la pensée les dedans du corsage et les dessous de la robe. On note la longueur du buste quand elle est assise; on tâche de découvrir la cheville; on remarque la qualité de la main qui révélera la finesse de toutes les attaches, et la qualité de l’oreille qui indique l’origine mieux qu’un extrait de naissance toujours contestable. On s’efforce de l’entendre parler pour pénétrer la nature de son esprit, et les tendances de son coeur par les intonations de sa voix. Car le timbre et toutes les nuances de la parole montrent à un observateur expérimenté toute la contexture mystérieuse d’une âme, l’accord étant toujours parfait, bien que difficile à saisir, entre la pensée même et l’organe qui l’exprime.

Donc j’observais attentivement ma voisine, cherchant les signes, analysant ses gestes, attendant des révélations de toutes ses attitudes.

Elle ouvrit un petit sac et tira un journal. Je me frottai les mains: «Dis-moi qui tu lis, je te dirai ce que tu penses».

Elle commença par l’article de tête, avec un petit air content et friand. Le titre de la feuille me sauta aux yeux: l’Écho de Paris. Je demeurai perplexe. Elle lisait une chronique de Scholl. Diable! c’était une scholliste – une scholliste? Elle se mit à sourire: une gauloise. Alors pas bégueule, bon enfant. Très bien. Une scholliste – oui, ça aime l’esprit français, la finesse et le sel, même le poivre. Bonne note. Et je pensai: voyons la contre-épreuve.

J’allai m’asseoir auprès d’elle et je me mis à lire, avec non moins d’attention, un volume de poésies que j’avais acheté au départ: la Chanson d’amour, par Félix Frank.

Je remarquai qu’elle avait cueilli le titre sur la couverture, d’un coup d’oeil rapide, comme un oiseau cueille une mouche en volant. Plusieurs voyageurs passaient devant nous pour la regarder. Mais elle ne semblait penser qu’à sa chronique. Quand elle l’eut finie, elle posa le journal entre nous deux.

Je la saluai et je lui dis:

– Me permettez-vous, madame, de jeter un coup d’oeil sur cette feuille?

– Certainement, monsieur.

– Puis-je vous offrir, pendant ce temps, ce volume de vers?

– Certainement, monsieur; c’est amusant?

Je fus un peu troublé par cette question. On ne demande pas si un recueil de vers est amusant. Je répondis:

– C’est mieux que cela, c’est charmant, délicat et très artiste.

– Donnez alors.

Elle prit le livre, l’ouvrit et se mit à le parcourir avec un petit air étonné prouvant qu’elle ne lisait pas souvent de vers.

Parfois, elle semblait attendrie, parfois elle souriait, mais d’un autre sourire qu’en lisant son journal.

Soudain, je lui demandai:

– Cela vous plaît-il?

– Oui, mais j’aime ce qui est gai, moi, ce qui est très gai, je ne suis pas sentimentale.

Et nous commençâmes à causer. J’appris qu’elle était femme d’un capitaine de dragons en garnison à Ajaccio et qu’elle allait rejoindre son mari.

En quelques minutes, je devinai qu’elle ne l’aimait guère, ce mari! Elle l’aimait pourtant, mais avec réserve, comme on aime un homme qui n’a pas tenu grand’chose des espérances éveillées aux jours des fiançailles. Il l’avait promenée de garnison en garnison, à travers un tas de petites villes tristes, si tristes! Maintenant, il l’appelait dans cette île qui devait être lugubre. Non, la vie n’était pas amusante pour tout le monde. Elle aurait encore préféré demeurer chez ses parents, à Lyon, car elle connaissait tout le monde à Lyon. Mais il lui fallait aller en Corse maintenant. Le ministre, vraiment, n’était pas aimable pour son mari, qui avait pourtant de très beaux états de services.

Et nous parlâmes des résidences qu’elle eût préférées. Je demandai:

– Aimez-vous Paris?

Elle s’écria:

– Oh! monsieur, si j’aime Paris! Est-il possible de faire une pareille question? Et elle se mit à me parler de Paris avec une telle ardeur, un tel enthousiasme, une telle frénésie de convoitise que je pensai: «Voilà la corde dont il faut jouer».

Elle adorait Paris, de loin, avec une rage de gourmandise rentrée, avec une passion exaspérée de provinciale, avec une impatience affolée d’oiseau en cage qui regarde un bois toute la journée, de la fenêtre où il est accroché.

Elle se mit à m’interroger, en balbutiant d’angoisse; elle voulait tout apprendre, tout, en cinq minutes. Elle savait les noms de tous les gens connus, et de beaucoup d’autres encore dont je n’avais jamais entendu parler.

– Comment est M. Gounod? Et M. Sardou? Oh! monsieur, comme j’aime les pièces de M. Sardou! Comme c’est gai, spirituel! Chaque fois que j’en vois une, je rêve pendant huit jours! J’ai lu aussi un livre de M. Daudet qui m’a tant plu! Sapho, connaissez-vous ça? Est-il joli garçon, M. Daudet? L’avez-vous vu? Et M. Zola, comment est-il? Si vous saviez comme Germinal m’a fait pleurer! Vous rappelez-vous le petit enfant qui meurt sans lumière? Comme c’est terrible! J’ai failli en faire une maladie. Ça n’est pas pour rire, par exemple! J’ai lu aussi un livre de M. Bourget, Cruelle énigme! J’ai une cousine qui a si bien perdu la tête de ce roman-là qu’elle a écrit à M. Bourget. Moi, j’ai trouvé ça trop poétique. J’aime mieux ce qui est drôle. Connaissez-vous M. Grévin? Et M. Coquelin? Et M. Damala? Et M. Rochefort? On dit qu’il a tant d’esprit! Et M. de Cassagnac? Il paraît qu’il se bat tous les jours?…

…………………

Au bout d’une heure environ, ses interrogations commençaient à s’épuiser; et ayant satisfait sa curiosité de la façon la plus fantaisiste, je pus parler à mon tour.

Je lui racontai des histoires du monde, du monde parisien, du grand monde. Elle écoutait de toutes ses oreilles, de tout son coeur. Oh! certes, elle a dû prendre une jolie idée des belles dames, des illustres dames de Paris. Ce n’étaient qu’aventures galantes, que rendez-vous, que victoires rapides et défaites passionnées. Elle me demandait de temps en temps:

– Oh! c’est comme ça, le grand monde?

Je souriais d’un air malin:

– Parbleu. Il n’y a que les petites bourgeoises qui mènent une vie plate et monotone par respect de la vertu, d’une vertu dont personne ne leur sait gré…

Et je me mis à saper la vertu à grands coups d’ironie, à grands coups de philosophie, à grands coups de blague. Je me moquai avec désinvolture des pauvres bêtes qui se laissent vieillir sans avoir rien connu de bon, de doux, de tendre ou de galant, sans avoir jamais savouré le délicieux plaisir des baisers dérobés, profonds, ardents, et cela parce qu’elles ont épousé une bonne cruche de mari dont la réserve conjugale les laisse aller jusqu’à la mort dans l’ignorance de toute sensualité raffinée et de tout sentiment élégant.

Puis, je citai encore des anecdotes, des anecdotes de cabinets particuliers, des intrigues que j’affirmais connues de l’univers entier. Et, comme refrain, c’était toujours l’éloge discret, secret, de l’amour brusque et caché, de la sensation volée comme un fruit, en passant, et oubliée aussitôt qu’éprouvée.

La nuit venait, une nuit calme et chaude. Le grand navire, tout secoué par sa machine, glissait sur la mer, sous l’immense plafond du ciel violet, étoilé de feu.

La petite femme ne disait plus rien. Elle respirait lentement et soupirait parfois. Soudain elle se leva:

– Je vais me coucher, dit-elle, bonsoir, monsieur.

Et elle me serra la main.

Je savais qu’elle devait prendre le lendemain soir la diligence qui va de Bastia à Ajaccio à travers les montagnes, et qui reste en route toute la nuit. Je répondis:

– Bonsoir, madame.

Et je gagnai, à mon tour, la couchette de ma cabine.

J’avais loué, dès le matin du lendemain, les trois places du coupé, toutes les trois pour moi tout seul.

Comme je montais dans la vieille voiture qui allait quitter Bastia, à la nuit tombante, le conducteur me demanda si je ne consentirais point à céder un coin à une dame.

Je demandai brusquement:

– À quelle dame?

– À la dame d’un officier qui va à Ajaccio.

– Dites à cette personne que je lui offrirai volontiers une place.

Elle arriva, ayant passé la journée à dormir, disait-elle. Elle s’excusa, me remercia et monta.

Ce coupé était une espèce de boîte hermétiquement close et ne prenant jour que par les deux portes. Nous voici donc en tête-à-tête, là dedans. La voiture allait au trot, au grand trot; puis elle s’engagea dans la montagne. Une odeur fraîche et puissante d’herbes aromatiques entrait par les vitres baissées, cette odeur forte que la Corse répand autour d’elle, si loin que les marins la reconnaissent au large, odeur pénétrante comme la senteur d’un corps, comme une sueur de la terre verte imprégnée de parfums, que le soleil ardent a dégagés d’elle, a évaporés dans le vent qui passe.

Je me remis à parler de Paris, et elle recommença à m’écouter avec une attention fiévreuse. Mes histoires devenaient hardies, astucieusement décolletées, pleines de mots voilés et perfides, de ces mots qui allument le sang.

La nuit était tombée tout à fait. Je ne voyais plus rien, pas même la tache blanche que faisait tout à l’heure le visage de la jeune femme. Seule la lanterne du cocher éclairait les quatre chevaux qui montaient au pas.

Parfois le bruit d’un torrent roulant dans les rochers nous arrivait, mêlé au son des grelots, puis se perdait bientôt dans le lointain, derrière nous.

J’avançai doucement le pied, et je rencontrai le sien qu’elle ne retira pas. Alors je ne remuai plus, j’attendis, et soudain, changeant de note, je parlai tendresse, affection. J’avais avancé la main et je rencontrai la sienne. Elle ne la retira pas non plus. Je parlais toujours, plus près de son oreille, tout près de sa bouche. Je sentais déjà battre son coeur contre ma poitrine. Certes, il battait vite et fort – bon signe; – alors, lentement, je posai mes lèvres dans son cou, sûr que je la tenais, tellement sûr que j’aurais parié ce qu’on aurait voulu.

Mais, soudain, elle eut une secousse comme si elle se fût réveillée, une secousse telle que j’allai heurter l’autre bout du coupé. Puis, avant que j’eusse pu comprendre, réfléchir, penser à rien, je reçus d’abord cinq ou six gifles épouvantables, puis une grêle de coups de poing qui m’arrivaient, pointus et durs, tapant partout, sans que je puisse les parer dans l’obscurité profonde qui enveloppait cette lutte.

J’étendais les mains, cherchant, mais en vain, à saisir ses bras. Puis, ne sachant plus que faire, je me retournai brusquement, ne présentant plus à son attaque furieuse que mon dos, et cachant ma tête dans l’encoignure des panneaux.

Elle parut comprendre, au son des coups peut-être, cette manoeuvre de désespéré, et elle cessa brusquement de me frapper.

Au bout de quelques secondes elle regagna son coin et se mit à pleurer par grands sanglots éperdus qui durèrent une heure au moins.

Je m’étais rassis, fort inquiet et très honteux. J’aurais voulu parler, mais que lui dire? Je ne trouvais rien! M’excuser? C’était stupide! Qu’est-ce que vous auriez dit, vous! Rien non plus, allez.

Elle larmoyait maintenant et poussait parfois de gros soupirs, qui m’attendrissaient et me désolaient. J’aurais voulu la consoler, l’embrasser comme on embrasse les enfants tristes, lui demander pardon, me mettre à ses genoux. Mais je n’osais pas.

C’est fort bête ces situations-là!

Enfin, elle se calma, et nous restâmes, chacun dans notre coin, immobiles et muets, tandis que la voiture allait toujours, s’arrêtant parfois pour relayer. Nous fermions alors bien vite les yeux, tous les deux, pour n’avoir point à nous regarder quand entrait dans le coupé le vif rayon d’une lanterne d’écurie. Puis la diligence repartait; et toujours l’air parfumé et savoureux des montagnes corses nous caressait les joues et les lèvres, et me grisait comme du vin.

Cristi, quel bon voyage si… si ma compagne eût été moins sotte!

Mais le jour lentement se glissa dans la voiture, un jour pâle de première aurore. Je regardai ma voisine. Elle faisait semblant de dormir. Puis le soleil, levé derrière les montagnes, couvrit bientôt de clarté un golfe immense tout bleu, entouré de monts énormes aux sommets de granit. Au bord du golfe une ville blanche, encore dans l’ombre, apparaissait devant nous.

Ma voisine alors fit semblant de s’éveiller, elle ouvrit les yeux (ils étaient rouges), elle ouvrit la bouche comme pour bâiller, comme si elle avait dormi longtemps. Puis elle hésita, rougit, et balbutia:

– Serons-nous bientôt arrivés?

– Oui, madame, dans une heure à peine.

Elle reprit en regardant au loin:

– C’est très fatigant de passer une nuit en voiture.

– Oh! oui, cela casse les reins.

– Surtout après une traversée.

– Oh! oui.

– C’est Ajaccio devant nous?

– Oui, madame.

– Je voudrais bien être arrivée.

– Je comprends ça.

Le son de sa voix était un peu troublé; son allure un peu gênée, son oeil un peu fuyant. Pourtant elle semblait avoir tout oublié.

Je l’admirais. Comme elles sont rouées d’instinct, ces mâtines-là? Quelles diplomates!

Au bout d’une heure, nous arrivions, en effet; et un grand dragon, taillé en hercule, debout devant le bureau, agita un mouchoir en apercevant la voiture.

Ma voisine sauta dans ses bras avec élan et l’embrassa vingt fois au moins, en répétant: – Tu vas bien? Comme j’avais hâte de te revoir!

Ma malle était descendue de l’impériale et je me retirais discrètement quand elle me cria: – Oh! monsieur, vous vous en allez sans me dire adieu.

Je balbutiai:

– Madame, je vous laissais à votre joie.

Alors elle dit à son mari: – Remercie monsieur, mon chéri; il a été charmant pour moi pendant tout le voyage. Il m’a même offert une place dans le coupé qu’il avait pris pour lui tout seul. On est heureux de rencontrer des compagnons aussi aimables.

Le mari me serra la main en me remerciant avec conviction.

La jeune femme souriait en nous regardant… Moi je devais avoir l’air fort bête!

Enragée?

Ma chère Geneviève, tu me demandes de te raconter mon voyage de noces. Comment veux-tu que j’ose? Ah! sournoise, qui ne m’avais rien dit, qui ne m’avais même rien laissé deviner, mais là, rien de rien!… Comment! tu es mariée depuis dix-huit mois, oui, depuis dix-huit mois, toi qui te dis ma meilleure amie, toi qui ne me cachais rien, autrefois, et tu n’as pas eu la charité de me prévenir? Si tu m’avais seulement donné l’éveil, si tu m’avais mise en garde, si tu avais laissé entrer un simple soupçon dans mon âme, un tout petit, tu m’aurais empêchée de faire une grosse bêtise dont je rougis encore, dont mon mari rira jusqu’à sa mort, et dont tu es seule coupable!

Je me suis rendue affreusement ridicule à tout jamais; j’ai commis une de ces erreurs dont le souvenir ne s’efface pas, par ta faute, par ta faute, méchante!… Oh! si j’avais su!

Tiens, je prends du courage en écrivant et je me décide à tout dire. Mais promets-moi de ne pas trop rire.

Ne t’attends pas à une comédie. C’est un drame.

Tu te rappelles mon mariage. Je devais partir le soir même pour mon voyage de noces. Certes, je ne ressemblais guère à la Paulette, dont Gyp nous a si drôlement conté l’histoire dans un spirituel roman: Autour du mariage. Et si ma mère m’avait dit, comme Mme d’Hautretan à sa fille: – «Ton mari te prendra dans ses bras… et…», je n’aurais certes pas répondu comme Paulette en éclatant de rire: «Ne va pas plus loin, maman… je sais tout ça aussi bien que toi, va…»

Moi je ne savais rien du tout, et maman, ma pauvre maman que tout effraye, n’a pas osé effleurer ce sujet délicat.

Donc, à cinq heures du soir, après la collation, on nous a prévenus que la voiture nous attendait. Les invités étaient partis, j’étais prête. Je me rappelle encore le bruit des malles dans l’escalier et la voix de nez de papa, qui ne voulait pas avoir l’air de pleurer. En m’embrassant, le pauvre homme m’a dit: «Bon courage!» comme si j’allais me faire arracher une dent. Quant à maman, c’était une fontaine. Mon mari me pressait pour éviter ces adieux difficiles, j’étais moi-même tout en larmes, quoique bien heureuse. Cela ne s’explique guère, et pourtant c’est vrai. Tout à coup, je sentis quelque chose qui tirait ma robe. C’était Bijou, tout à fait oublié depuis le matin. La pauvre bête me disait adieu à sa manière. Cela me donna comme un petit coup dans le coeur, et un grand désir d’embrasser mon chien. Je le saisis (tu sais qu’il est gros comme le poing), et me mis à le dévorer de baisers. Moi, j’adore caresser les bêtes. Cela me fait un plaisir doux, ça me donne des sortes de frissons, c’est délicieux.

Quant à lui, il était comme fou; il remuait ses pattes, il me léchait, il mordillait comme il fait quand il est très content. Tout à coup, il me prit le nez dans ses crocs et je sentis qu’il me faisait mal. Je poussai un petit cri et je reposai le chien par terre. Il m’avait vraiment mordue en voulant jouer. Je saignais. Tout le monde fut désolé. On apporta de l’eau, du vinaigre, des linges, et mon mari voulut lui-même me soigner. Ce n’était rien, d’ailleurs, deux petits trous qu’on eût dit faits avec des aiguilles. Au bout de cinq minutes, le sang était arrêté et je partis.

Il était décidé que nous ferions un voyage en Normandie, de six semaines environ.

Le soir, nous arrivions à Dieppe. Quand je dis «le soir», j’entends à minuit.

Tu sais comme j’aime la mer. Je déclarai à mon mari que je ne me coucherais pas avant de l’avoir vue. Il parut très contrarié. Je lui demandai en riant: «Est-ce que vous avez sommeil?»

Il répondit: «Non, mon amie, mais vous devriez comprendre que j’ai hâte de me trouver seul avec vous».

Je fus surprise: «Seul avec moi? Mais nous sommes seuls depuis Paris dans le wagon».

Il sourit: «Oui… mais… dans le wagon, ce n’est pas la même chose que si nous étions dans notre chambre».

Je ne cédai pas: «Eh bien, monsieur, nous sommes seuls sur la plage, et voilà tout».

Décidément, cela ne lui plaisait pas. Il dit pourtant: «Soit, puisque vous le désirez».

La nuit était magnifique, une de ces nuits qui vous font passer dans l’âme des idées grandes et vagues, plutôt des sensations que des pensées, avec des envies d’ouvrir les bras, d’ouvrir les ailes, d’embrasser le ciel, que sais-je? On croit toujours qu’on va comprendre des choses inconnues.

Il y a dans l’air du Rêve, de la Poésie pénétrante, du bonheur d’autre part que de la terre, une sorte d’ivresse infinie qui vient des étoiles, de la lune, de l’eau argentée et remuante. Ce sont là les meilleurs instants qu’on ait dans la vie. Ils font voir l’existence différente, embellie, délicieuse; ils sont comme la révélation de ce qui pourrait être… ou de ce qui sera.

Cependant mon mari paraissait impatient de rentrer. Je lui disais: «As-tu froid? – Non. – Alors regarde donc ce petit bateau là-bas, qui semble endormi sur l’eau. Peut-on être mieux qu’ici? J’y resterais volontiers jusqu’au jour. Dis, veux-tu que nous attendions l’aurore?»

Il crut que je me moquais de lui, et il m’entraîna presque de force jusqu’à l’hôtel! Si j’avais su! Oh! le misérable!

Quand nous fûmes seuls, je me sentis honteuse, gênée, sans savoir pourquoi, je te le jure. Enfin je le fis passer dans le cabinet de toilette et je me couchai.

Oh! ma chère, comment dire ça? Enfin voici. Il prit sans doute mon extrême innocence pour de la malice, mon extrême simplicité pour de la rouerie, mon abandon confiant et niais pour une tactique, et il ne garda point les délicats ménagements qu’il faut pour expliquer, faire comprendre et accepter de pareils mystères à une âme sans défiance et nullement préparée.

Et tout à coup, je crus qu’il avait perdu la tête. Puis, la peur m’envahissant, je me demandai s’il me voulait tuer. Quand la terreur vous saisit, on ne raisonne pas, on ne pense plus, on devient fou. En une seconde, je m’imaginai des choses effroyables. Je pensai aux faits divers des journaux, aux crimes mystérieux, à toutes les histoires chuchotées de jeunes filles épousées par des misérables! Est-ce que je le connaissais, cet homme? Je me débattais, le repoussant, éperdue d’épouvante. Je lui arrachai même une poignée de cheveux et un côté de la moustache, et, délivrée par cet effort, je me levai en hurlant «au secours!» Je courus à la porte, je tirai les verrous et je m’élançai, presque nue, dans l’escalier.

D’autres portes s’ouvrirent. Des hommes en chemise apparurent avec des lumières à la main. Je tombai dans les bras de l’un d’eux en implorant sa protection. Il se jeta sur mon mari.

Je ne sais plus le reste. On se battait, on criait; puis on a ri, mais ri comme tu ne peux pas croire. Toute la maison riait, de la cave au grenier. J’entendais dans les corridors de grandes fusées de gaieté, d’autres dans les chambres au-dessus. Les marmitons riaient sous les toits, et le garçon de garde se tordait sur son matelas, dans le vestibule!

Songe donc: dans un hôtel!

Je me retrouvai ensuite seule avec mon mari, qui me donna quelques explications sommaires, comme on explique une expérience de chimie avant de la tenter. Il n’était pas du tout content. Je pleurai jusqu’au jour, et nous sommes partis dès l’ouverture des portes.

Ce n’est pas tout.

Le lendemain, nous arrivions à Pourville, qui n’est encore qu’un embryon de station de bains. Mon mari m’accablait de petits soins, de tendresses. Après un premier mécontentement il paraissait enchanté. Honteuse et désolée de mon aventure de la veille, je fus aussi aimable qu’on peut l’être, et docile. Mais tu ne te figures pas l’horreur, le dégoût, presque la haine qu’Henry m’inspira lorsque je sus cet infâme secret qu’on cache si soigneusement aux jeunes filles. Je me sentais désespérée, triste à mourir, revenue de tout et harcelée du besoin de retourner auprès de mes pauvres parents. Le surlendemain, nous arrivions à Étretat. Tous les baigneurs étaient en émoi: une jeune femme, mordue par un petit chien, venait de mourir enragée. Un grand frisson me courut dans le dos quand j’entendis raconter cela à table d’hôte. Il me sembla tout de suite que je souffrais dans le nez et je sentis des choses singulières tout le long des membres.

Je ne dormis pas de la nuit; j’avais complètement oublié mon mari. Si j’allais aussi mourir enragée! Je demandai des détails le lendemain au maître d’hôtel. Il m’en donna d’affreux. Je passai le jour à me promener sur la falaise. Je ne parlais plus, je songeais. La rage! quelle mort horrible! Henry me demandait: «Qu’as-tu? Tu sembles triste». Je répondais: «Mais rien, mais rien». Mon regard effaré se fixait sur la mer sans la voir, sur les fermes, sur les plaines, sans que j’eusse pu dire ce que j’avais sous les yeux. Pour rien au monde je n’aurais voulu avouer la pensée qui me torturait. Quelques douleurs, de vraies douleurs, me passèrent dans le nez. Je voulus rentrer.

À peine revenue à l’hôtel, je m’enfermai pour regarder la plaie. On ne la voyait plus. Et pourtant, je n’en pouvais douter, elle me faisait mal.

J’écrivis tout de suite à ma mère une courte lettre qui dut lui paraître étrange. Je demandais une réponse immédiate à des questions insignifiantes. J’écrivis, après avoir signé: «Surtout n’oublie pas de me donner des nouvelles de Bijou».

Le lendemain, je ne pus manger, mais je refusai de voir un médecin. Je demeurai assise toute la journée sur la plage à regarder les baigneurs dans l’eau. Ils arrivaient gros ou minces, tous laids dans leurs affreux costumes; mais je ne songeais guère à rire. Je pensais: «Sont-ils heureux, ces gens! ils n’ont pas été mordus. Ils vivront, eux! ils ne craignent rien. Ils peuvent s’amuser à leur gré. Sont-ils tranquilles!»

À tout instant je portais la main à mon nez pour le tâter. N’enflait-il pas? Et à peine rentrée à l’hôtel, je m’enfermais pour le regarder dans la glace. Oh! s’il avait changé de couleur, je serais morte sur le coup.

Le soir, je me sentis tout à coup une sorte de tendresse pour mon mari, une tendresse de désespérée. Il me parut bon, je m’appuyai sur son bras. Vingt fois je faillis lui dire mon abominable secret, mais je me tus.

Il abusa odieusement de mon abandon et de l’affaissement de mon âme. Je n’eus pas la force de lui résister, ni même la volonté. J’aurais tout supporté, tout souffert! Le lendemain, je reçus une lettre de ma mère. Elle répondait à mes questions, mais ne me parlait pas de Bijou. Je pensai sur-le-champ: «Il est mort et on me le cache». Puis je voulus courir au télégraphe pour envoyer une dépêche. Une réflexion m’arrêta: «S’il est vraiment mort, on ne me le dira pas». Je me résignai donc encore à deux jours d’angoisses. Et j’écrivis de nouveau. Je demandais qu’on m’envoyât le chien qui me distrairait, car je m’ennuyais un peu.

Des tremblements me prirent dans l’après-midi. Je ne pouvais lever un verre plein sans en répandre la moitié. L’état de mon âme était lamentable. J’échappai à mon mari vers le crépuscule et je courus à l’église. Je priai longtemps.

En revenant, je sentis de nouvelles douleurs dans le nez et j’entrai chez le pharmacien dont la boutique était éclairée. Je lui parlai d’une de mes amies qui aurait été mordue, et je lui demandai des conseils. C’était un aimable homme, plein d’obligeance. Il me renseigna abondamment. Mais j’oubliais les choses à mesure qu’il me les disait, tant j’avais l’esprit troublé. Je ne retins que ceci: «Les purgations étaient souvent recommandées». J’achetai plusieurs bouteilles de je ne sais quoi, sous prétexte de les envoyer à mon amie.

Les chiens que je rencontrais me faisaient horreur et me donnaient envie de fuir à toutes jambes. Il me sembla plusieurs fois que j’avais aussi envie de les mordre.

Ma nuit fut horriblement agitée. Mon mari en profita. Dès le lendemain, je reçus la réponse de ma mère. – Bijou, disait-elle, se portait bien. Mais on l’exposerait trop en l’expédiant ainsi tout seul par le chemin de fer. Donc on ne voulait pas me l’envoyer. Il était mort.

Je ne pus encore dormir. Quant à Henry, il ronfla. Il se réveilla plusieurs fois. J’étais anéantie.

Le lendemain, je pris un bain de mer. Je faillis me trouver mal en entrant dans l’eau, tant je fus saisie par le froid. Je demeurai plus ébranlée encore par cette sensation de glace. J’avais dans les jambes des tressaillements affreux; mais je ne souffrais plus du tout du nez.

On me présenta, par hasard, le médecin inspecteur des bains, un charmant homme. Je mis une habileté extrême à l’amener sur mon sujet. Je dis alors que mon jeune chien m’avait mordue quelques jours auparavant et je lui demandai ce qu’il faudrait faire s’il survenait quelque inflammation. Il se mit à rire et répondit: «Dans votre situation, je ne verrais qu’un moyen, madame, ce serait de vous faire un nouveau nez».

Et comme je ne comprenais pas, il ajouta: «Cela d’ailleurs regarde votre mari».

Je n’étais pas plus avancée ni mieux renseignée en le quittant.

Henry, ce soir-là, semblait très gai, très heureux. Nous vînmes le soir au Casino, mais il n’attendit pas la fin du spectacle pour me proposer de rentrer. Rien n’avait plus d’intérêt pour moi, je le suivis.

Yaş həddi:
12+
Litresdə buraxılış tarixi:
30 avqust 2016
Həcm:
130 səh. 1 illustrasiya
Müəllif hüququ sahibi:
Public Domain