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Les enfants des bois

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CHAPITRE XIV
LE TREK-BOKEN

Ceux qui étaient restés au camp avaient eu leurs aventures. Leur récit fut de nature à troubler la satisfaction générale, car ils révélèrent un fâcheux événement. Les moutons et les chèvres avaient été entraînés de la manière la plus singulière, et on avait peu d'espoir de les revoir jamais. Voici quel fut le rapport de Hans:

«Le jour de votre départ, il ne se passa rien de particulier. Dans l'après-midi, je travaillai à couper des faisceaux d'épines pour faire un kraal; Totty m'aida à les ranger, tandis que Jan et Gertrude surveillaient le troupeau. Fatigué d'une longue course et trouvant de l'herbe à discrétion, il ne s'écarta pas de la vallée. Avec le concours de Totty je parvins à établir le kraal que vous voyez. On y mit les moutons, les chèvres et la vache, qu'on eut soin de traire. Nous étions là, et nous dormions tous jusqu'au matin sans nous déranger. Les chacals et les hyènes vinrent rôder autour de nous, mais il leur fut impossible de franchir la haie épineuse. Au point du jour nous déjeunâmes avec du lait et les restes de la veille. Les moutons, les chèvres, la vache et les deux chevaux furent cachés dans le vallon, sous la surveillance de Totty. J'enjoignis à Jan et à Gertrude de ne pas s'écarter de la charrette, et prenant mon fusil, je me mis en devoir d'aller chercher de quoi dîner. Je ne me souciais pas de tuer encore un mouton.

«Je ne montai point à cheval. Il me semblait avoir aperçu des antilopes dans la plaine, et il était plus facile de s'en approcher à pied. Quand je fus sorti de la vallée, j'eus devant les yeux un spectacle qui m'étonna, je puis vous l'assurer. Du côté de l'est, toute la plaine disparaissait sous une multitude innombrable d'animaux. A leurs flancs d'un jaune éclatant, aux poils blancs de leur croupe, je reconnus des antilopes springboks. Elles étaient dans une vive agitation. Tandis que les unes broutaient en marchant, d'autres faisaient en l'air des bonds prodigieux et retombaient sur le dos de leurs camarades. Jamais je n'avais rien vu de plus bizarre et de plus agréable à la fois. Je jouissais paisiblement de ce spectacle, car je savais que ces petites gazelles étaient parfaitement inoffensives. J'allais m'avancer vers elles, lorsque je les vis se diriger vers moi avec une vitesse surprenante. Je n'avais donc qu'à les attendre, et je me plaçai en embuscade derrière un buisson. Un quart d'heure après l'avant-garde défilait devant moi. Je ne songeai pas d'abord à faire feu, et je restai caché, épiant les mouvements de ces gracieuses bêtes. J'examinais avec curiosité leurs formes légères, leurs membres délicats, leurs dos couleur de cannelle et leurs ventres blancs avec une bande d'un ton châtain de chaque côté. Les mâles avaient des cornes en forme de lyre. Quand elles sautaient, je voyais flotter sur leurs croupes une profusion de longs poils soyeux aussi blancs que la neige.

»Après avoir suffisamment admiré, je songeai à mon dîner, et me rappelant que la chair des femelles et préférable à celle des mâles, j'en ajustai une dont la taille et les proportions m'avaient séduit. Elle tomba; mais à mon grand étonnement, les autres ne s'enfuirent pas. Quelques-unes reculèrent ou firent des bonds, puis elles se mirent à brouter sans manifester la moindre émotion.

»Je rechargeai mon arme et j'abattis un mâle, sans que la troupe s'effrayât davantage. J'allais charger pour la troisième fois, quand je me trouvai au milieu du troupeau, dont les rangs pressés m'avaient enveloppé. Jugeant inutile de me cacher plus longtemps derrière le buisson, je me levai sur les genoux, j'achevai de charger mon arme, et je fis une nouvelle victime. Loin de s'arrêter, ses camarades lui passèrent sur le corps par milliers.

»Je me levai et mis de nouveau une balle dans mon fusil.

»Pour la première fois, je me mis à réfléchir à l'étrange conduite des springboks. Au lieu de s'enfuir à mon aspect, elles faisaient un léger bond de côté et poursuivaient ensuite leur route; elles paraissaient obéir à une espèce de fascination. Je me souviens d'avoir entendu dire que c'était ainsi qu'elles en agissaient dans leurs migrations ou trek-bokens, et j'en conclus que j'assistais à un trek-boken. J'en acquis bientôt la certitude, car le troupeau s'épaississait à chaque instant. La foule rendit bientôt ma situation aussi singulière qu'embarrassante; je n'avais pas peur des antilopes, qui n'avaient pas l'air de vouloir employer leurs cornes contre moi et qui cherchaient au contraire à m'éviter; mais ma présence n'alarmait que les plus proches, et celles qui venaient à leur suite ne s'écartaient pas de leur route: de sorte que les premières poussées en avant était obligées, pour ne pas m'atteindre, de sauter sur le dos de celles qui les précédaient.

»Je ne saurais décrire les sensations étranges que j'éprouvai dans cette situation inusitée. Elle n'était pas d'ailleurs intolérable. Il se formait constamment autour de moi un cercle assez grand pour me permettre de charger et de tirer, et j'aurais pu profiter longtemps de cet avantage, si je n'avais songé tout à coup à nos moutons.

»Ils vont être entraînés, me dis-je. Je me rappelle qu'on m'a cité des exemples de faits pareils. L'avant-garde des antilopes est déjà dans la vallée; il faut que je devance leur principal corps d'armée et que je fasse rentrer les moutons dans le kraal.

»Je me mis en route immédiatement, mais, à ma grande douleur, je reconnus que je ne pouvais pas aller vite. Lorsque j'approchais des antilopes, elles sautaient l'une sur l'autre en désordre, mais sans me livrer passage. J'étais si près de quelques-unes, qu'il m'eût été facile de les abattre d'un coup de crosse. Afin de les intimider, je me mis à crier en brandissant mon fusil à droite et à gauche; je parvins à gagner ainsi du terrain et je conçus l'espoir de me dégager, en apercevant devant moi un espace libre dont la limite était indiquée par des groupes plus compactes d'antilopes. Je n'eus pas le temps de me demander pourquoi elles laissaient une brèche dans leurs rangs. Préoccupé du salut de notre troupeau, je ne pensais qu'à m'avancer le plus rapidement possible.

»Je redoublai d'efforts pour me frayer une route, qui se refermait sans cesse derrière moi; j'atteignis de la sorte l'espace découvert, et j'allais le franchir, lorsque je vis au centre un grand lion jaune.

»La solution de continuité que j'avais remarquée dans les rangs m'était suffisamment expliquée. Si j'en eusse connu la cause, j'aurais pris une autre direction; mais il n'était plus temps de reculer. Le lion était à dix pas devant moi et je n'en étais séparé que par deux lignes de springboks.

»Il est inutile de dire que j'eus peur et que je ne sus d'abord quel parti prendre. Mon fusil était encore chargé, car l'idée de sauver notre troupeau m'avait fait oublier ma chasse, mais devais-je tirer sur le lion? C'eût été une imprudence. Il avait le dos tourné et je n'avais pas encore attiré son attention. Dans la position que nous occupions respectivement, je ne pouvais guère que le blesser, et c'eût été m'exposer à être mis en pièces. Ces réflexions me prirent à peine quelques secondes. J'avais tourné le dos et j'allais me perdre au milieu des springboks lorsque, jetant sur le lion un regard de côté, je le vis s'arrêter brusquement; je m'arrêtai de même, sachant que c'était ce que j'avais de mieux à faire, et j'éprouvai un grand soulagement en remarquant qu'il n'avait pas les yeux fixés sur moi. La faim lui était sans doute revenue, car, après avoir fait quelques pas, il bondit au milieu d'un groupe et s'abattit sur le dos d'une antilope. Les autres s'écartèrent, et un nouvel espace libre s'ouvrit autour du terrible animal.

»Il était plus près de moi que jamais, et je le voyais distinctement couché sur sa victime, dont ses longues dents rongeaient le cou et dont ses griffes déchiraient le corps frémissant. Il avait les yeux fermés comme s'il eût été endormi, et ne faisait pas le moindre mouvement: sa queue seule vibrait doucement, pareille à celle d'un chat qui vient de prendre une souris.

»Je savais que dans cet état le lion se laissait approcher. J'étais à bonne portée, et il me prit fantaisie de tirer; j'avais le pressentiment que mon coup serait mortel. La large tête de l'animal était devant mes yeux. Je l'ajustai. Je fis feu; mais au lieu d'attendre pour juger de l'effet de ma balle, je m'enfuis dans une direction opposée; je ne m'arrêtai qu'après avoir mis plusieurs acres d'antilopes entre le lion et moi, puis je poursuivis ma route vers la charrette. Jan, Gertrude et Totty étaient en sûreté sous la tente; mais les moutons et les chèvres, confondus avec les springboks, s'éloignaient avec autant de rapidité que s'ils eussent appartenu à la même espèce. Je crains bien qu'ils ne soient tous perdus.»

– Et le lion? demanda Hendrik.

– Il est là-bas, répondit Hans en montrant une masse jaune sur laquelle planaient déjà les vautours. Je l'ai tué. Vous-même n'auriez pu mieux faire, mon cher Hendrik.

En disant ces mots, Hans sourit d'une façon qui prouvait qu'il ne cherchait pas à tirer vanité de son exploit.

Hendrik félicita chaleureusement son frère et exprima le regret de n'avoir pas été témoin de la prodigieuse émigration des springboks.

On n'avait pas de temps à perdre en conversation. Von Bloom et les siens étaient dans une situation critique. De tout leur bétail, il ne leur restait plus qu'une vache; ils avaient des chevaux, mais pas un brin d'herbe pour les nourrir. Il était inutile de suivre la trace des springboks dans l'espoir de retrouver les moutons et les chèvres. D'après Swartboy, les pauvres bêtes pouvaient être entraînées à des centaines de milles avant d'être à même de se séparer du grand troupeau et de terminer leur voyage involontaire.

Les chevaux étaient hors d'état de marcher. Les feuilles de mimosa qu'ils broutaient n'étaient pas une nourriture assez substantielle pour réparer leurs forces épuisées. Elles ne pouvaient servir qu'à prolonger momentanément leur vie jusqu'à ce qu'on leur trouvât un pâturage; mais où le trouver? les sauterelles et les antilopes semblaient avoir métamorphosé l'Afrique en un désert.

 

Le porte-drapeau eut bientôt pris une résolution, celle de passer la nuit dans la vallée et de se mettre le lendemain à la recherche d'une autre source. Par bonheur, Hans n'avait pas négligé de ramasser deux ou trois springboks, dont la chair succulente réconforta les trois voyageurs.

On laissa les chevaux chercher leur subsistance à leur guise.

Dans des circonstances ordinaires, ils auraient dédaigné les feuilles de mimosa; mais, pressés par la faim, ils levèrent la tête comme des girafes et dépouillèrent sans façon les branches épineuses.

Quelques naturalistes de l'école de Buffon ont prétendu que les animaux respectaient leur roi même après sa mort, et que le loup, l'hyène, le renard, le chacal ne touchaient jamais au cadavre d'un lion. Le porte-drapeau et sa famille purent se convaincre que cette assertion était inexacte: les chacals et les hyènes se jetèrent sur les dépouilles du lion et les firent disparaître en peu de temps. Sa peau même fut dévorée, et les fortes mâchoires des hyènes broyèrent ses ossements. La déférence que ces bêtes féroces témoignent au lion finit avec sa vie. Quand il a succombé, elles le mangent avec autant d'audace que si c'était le plus vil des animaux.

CHAPITRE XV
A LA RECHERCHE D'UNE FONTAINE

Von Bloom fut en selle de bonne heure, accompagné de Swartboy. Ils prirent les chevaux qui étaient restés au camp et qui étaient plus frais que les autres.

Les deux explorateurs marchèrent à l'ouest, dans l'espoir qu'ils seraient plus vite hors du territoire ravagé par les antilopes, qui allaient du nord au sud. A leur vive satisfaction, au bout d'une heure de marche, ils eurent franchi le sol qu'avait foulé le trek-boken. Ils ne trouvèrent pas d'eau, mais l'herbe était abondante.

Le porte-drapeau renvoya Swartboy au camp, et le chargea d'amener les autres chevaux et la vache dans un lieu qu'il lui désigna. Lui-même poursuivit ses investigations.

Une longue ligne de collines abruptes, qui paraissait se diriger à l'ouest, s'élevait au-dessus de la plaine. Il s'achemina de ce côté, dans l'espoir de rencontrer l'eau près de la base de ces hauteurs. A mesure qu'il s'en approchait, il découvrait des sites de plus en plus riants. Il traversa des prairies séparées les unes des autres par des bouquets de mimosas aux feuilles délicates, que dominaient des arbres d'une taille gigantesque et d'une espèce inconnue. Leurs troncs étaient grêles, mais chacun d'eux, couronné d'une épaisse cime de feuillage, semblait à lui seul une petite forêt. Toute la contrée avait l'aspect d'un parc, et sa beauté contrastait avec la sinistre rudesse des collines qui montaient verticalement comme des murailles à plusieurs centaines de pieds. C'était un bonheur de trouver un coin aussi fertile dans une région désolée, car les collines étaient la limite méridionale d'un désert fameux, le désert de Kalihari.

En d'autres circonstances, le fermier ruiné aurait été dans l'extase, mais que lui importaient ces magnifiques pâturages maintenant qu'il n'avait plus de bestiaux à nourrir? La vue de la riche nature qui l'entourait contribuait à rendre ses réflexions plus pénibles. Mais il ne s'abandonna pas au désespoir. Ses embarras présents l'occupaient assez pour l'empêcher de songer à l'avenir. Son premier soin fut de choisir un endroit où il pouvait faire reposer les chevaux. Il se mit ensuite à chercher l'eau avec un redoublement d'activité. Sans eau, cet admirable site n'avait pas pour lui plus de valeur que le désert, mais il était impossible qu'il fût privé de cet élément essentiel. Ainsi pensait avec raison Von Bloom, et à chaque bouquet d'arbres, il examinait le sol avec une scrupuleuse attention.

– Voilà un bon signe! s'écria-t-il avec joie en voyant s'envoler devant lui une couvée de perdrix namaquas; elles s'éloignent rarement de l'eau.

Peu d'instants après, il vit courir dans un taillis un troupeau de belles pintades ou poules de Guinée. C'était encore un indice que l'eau était proche. Pour comble de bonheur, il aperçut entre les branches d'un grand arbre le brillant plumage d'un perroquet.

– Je suis certain maintenant, se dit-il, qu'il y a quelque source ou quelque mare aux environs.

Il s'avança plein d'espoir, et après avoir atteint la cime d'un monticule, il s'y arrêta pour observer le vol des oiseaux. Il vit successivement deux compagnies de perdrix prendre la direction de l'ouest, et s'abattre près d'un arbre énorme qui croissait à cinq cents pas du bas de la chaîne des collines. Cet arbre était isolé, et ses dimensions dépassaient de beaucoup celles des autres. Pendant que Von Bloom le contemplait avec admiration, il vit se percher sur les branches plusieurs perroquets, qui, après avoir caqueté un moment, descendirent sur la plaine à peu de distance du tronc.

– Il y a de l'eau de ce côté, pensa Von Bloom; allons-y-voir.

Sans attendre qu'on le pressât, son cheval s'était déjà mis en mouvement, et à peine eut-il la tête tournée vers l'arbre qu'il trotta gaiement, en allongeant le cou et en hennissant.

Le cavalier, se fiant à l'instinct de sa monture, lâcha la bride, et au bout de moins de cinq minutes, tous deux se désaltéraient à la source limpide qui jaillissait presque au pied du grand arbre.

Le porte-drapeau avait envie de retourner à son camp; mais il réfléchit qu'il ne perdrait pas de temps si, en laissant son cheval paître et se refaire, il le mettait en état d'accomplir plus vite le trajet: il débrida la pauvre bête, lui donna la liberté, et s'étendit à l'ombre du grand arbre.

C'était un nwana ou figuier sycomore. Le tronc n'avait pas moins de vingt pieds de diamètre; il était nu jusqu'à trente pieds environ. A cette hauteur s'étendaient horizontalement des branches nombreuses, garnies d'un épais feuillage, à travers lequel luisaient des fruits ovoïdes aussi gros que des cocos. Les perroquets et plusieurs autres espèces d'oiseaux les becquetaient avec avidité.

Des arbres du même genre étaient épars ça et là dans la plaine, et bien qu'ils s'élevassent tous au-dessus des taillis environnants, aucun d'eux n'était aussi remarquable que celui qui croissait près de la source.

En jouissant de ce frais ombrage, Von Bloom ne put s'empêcher de penser que le site serait merveilleusement propice à la construction d'un kraal. Les hôtes du nouveau logis n'y auraient rien à craindre ni des ardents rayons du soleil d'Afrique, ni même de la pluie, qui pouvait à peine pénétrer à travers ce dais de feuillage. Si le fermier avait encore eu ses bestiaux, il aurait pris aussitôt la résolution de fixer son domicile dans cet emplacement. Mais que pouvait-il y faire? C'était pour lui un désert. Il n'avait aucun moyen d'y établir une industrie lucrative. A la vérité, le gibier était abondant, et la chasse lui offrait des ressources; mais la perspective d'une pareille existence était triste, parce qu'elle n'assurait en rien l'avenir de la famille. Les enfants devaient-ils grandir pour n'être que de pauvres chasseurs, presque au niveau des Hottentots nomades?

– Non, se dit-il, je ne bâtirai point de maison dans ces lieux. Il est bon d'y passer quelques jours pour laisser reposer mes chevaux fatigués. Ensuite je tenterai un dernier effort et me rapprocherai du centre de la colonie… Et pourtant qu'y ferai-je après mon retour? A quelque parti que je m'arrête, mon avenir est sombre et incertain.

Après s'être abandonné pendant une heure à ses réflexions, Von Bloom remonta à cheval et retourna à son camp. En moins de deux heures, il rejoignit Swartboy et Hendrik. On attela les chevaux à la charrette, et le lourd véhicule traversa de nouveau les plaines. Avant le coucher du soleil, il était abrité sous le gigantesque nwana.

CHAPITRE XVI
LE TERRIBLE TSETSÉ

Le verdoyant tapis qui s'étendait à l'entour, le feuillage des arbres, l'eau de la source, les fleurs qui en diapraient les bords, les rochers noirs qui se dressaient au loin, tout était combiné pour rendre le paysage agréable aux yeux des voyageurs, et ils exprimèrent bruyamment leurs émotions pendant qu'on dételait la charrette.

Le site plaisait à tout le monde. Hans en aimait le calme et les beautés agrestes. Il se promettait d'y rêver en se promenant un livre à la main. Hendrik avait remarqué les traces d'animaux de la plus grande espèce, et comptait se livrer au noble plaisir de la chasse. La petite Gertrude était enchantée de voir tant de belles fleurs: des géraniums écarlates, des jasmins étoilés, des belladones roses ou blanches. Sur les arbres eux-mêmes s'épanouissaient des bouquets embaumés. L'arbuste à sucre (protea mellifera) étalait ses grandes corolles en forme de coupe tachetées de rose, de blanc et de vert. L'arbre d'argent (leucodendron argenteum), dont la brise agitait les feuilles, ressemblait à une énorme touffe de fleurs soyeuses. Les grappes jaunes des mimosas remplissaient l'air de leurs parfums pénétrants.

Dans le voisinage de la fontaine étaient des plantes de formes étranges: des euphorbes d'espèces diverses; le zamia, dont les feuilles ressemblent à des palmes; le strelitzia reginæ; l'aloès arborescent, aux longs épis d'un rouge de corail. Mais ce qui excita surtout l'admiration de la petite Gertrude, ce fut le lis d'eau (nympha cærulea), qui est certainement un des plus gracieux spécimens de la végétation africaine. A peu de distance de la source était un étang, ou aurait pu même dire un petit lac, et sur sa surface limpide reposaient les corolles bleu de ciel du lis d'eau. Gertrude, tenant son faon en laisse, descendit sur la rive pour les regarder. Elle s'imaginait qu'elle ne se lasserait jamais de regarder tant de belles choses.

– J'espère que nous resterons longtemps ici, dit-elle au petit Jan.

– Je l'espère aussi. Oh! Gertrude, le bel arbre que voilà! En vérité, les noix sont aussi grosses que ma tête. Comment allons-nous faire pour en abattre quelques-unes?

Et les enfants tinrent mille propos analogues dans le ravissement où les plongeait le spectacle de cette riche nature.

La joie de cette jeune famille était tempérée par la tristesse qu'elle remarquait sur le front de Von Bloom. Il était assis sous le nwana, mais il avait les yeux baissés et reprenait ses tristes rêveries de la veille. Le seul parti qu'il eût à prendre était de retourner aux établissements pour y recommencer sa fortune. Mais comment sortir de sa misérable position? Il fallait à ses débuts se mettre au service de ses riches voisins, et c'était dur pour un homme accoutumé à une vie indépendante.

Il regarda ses cinq chevaux qui paissaient à l'ombre des collines, et jugea que dans trois ou quatre jours ils auraient recouvré assez de force pour se mettre en route. C'étaient de bonnes bêtes, capables de traîner la charrette avec une rapidité suffisante, et il calculait combien il leur faudrait de temps pour regagner les frontières de la colonie. Il ne se doutait guère qu'ils avaient été attelés pour la dernière fois et qu'ils étaient condamnés. C'était pourtant la vérité: moins d'une semaine après, leurs ossements étaient la proie des hyènes et des chacals. En ce moment même, où ils broutaient paisiblement l'herbe touffue, le poison pénétrait leurs veines, et ils recevaient de mortelles blessures. Hélas! un nouveau malheur attendait Von Bloom. De temps en temps il remarquait que les chevaux éprouvaient une certaine inquiétude, qu'ils tressaillaient brusquement, qu'ils agitaient leurs longues queues et se frottaient la tête contre les buissons.

– C'est quelque mouche qui les importune, pensa-t-il, et il ne s'en préoccupa point d'avantage.

C'était en effet une mouche qui les importunait; mais si Von Bloom avait su à quelle espèce appartenait l'insecte, il se serait empressé d'appeler ses enfants, et d'éloigner ses chevaux de ce lieu fatal; mais il ne connaissait pas l'œstre d'Afrique, que les indigènes appellent tsetsé.

Le soleil allait se coucher, lorsque Von Bloom remarqua que l'agitation des chevaux augmentait, qu'ils frappaient la terre de leurs sabots, et qu'ils couraient parfois en hennissant avec colère. Leurs allures étranges le déterminèrent à aller voir de près ce qui les tourmentait. Il partit avec Hans et Hendrik, et en arrivant ils trouvèrent les chevaux au milieu d'un essaim considérable de mouches semblables à des abeilles. Elles étaient toutefois plus petites, d'une couleur brune et d'une incroyable activité dans leur vol. Elles tournoyaient par milliers autour de chaque cheval, se posaient sur sa tête, sur son cou, sur ses flancs, et le perçaient de leurs aiguillons.

 

– Il est impossible à ces chevaux de paître ici, dit Von Bloom. Emmenons-les dans la plaine, ils seront débarrassés des mouches qui les incommodent.

Hendrik ne songeait aussi qu'à plaindre les souffrances passagères des chevaux, mais Hans était plus inquiet. Il avait lu la description d'un insecte commun dans l'intérieur de l'Afrique méridionale, et il conçut des alarmes que partagèrent bientôt ses compagnons.

– Faites venir Swartboy, dit le fermier.

Le Bosjesman était occupé à décharger la charrette, et n'avait fait aucune attention aux mouvements désordonnés des chevaux; mais dès qu'il eut vu la troupe ailée tournoyer autour d'eux, ses petits yeux s'écarquillèrent, ses grosses lèvres tombèrent, et toute sa physionomie prit une expression de stupeur.

– Qu'y a-t-il? demanda son maître.

– Myne boor, ce sont des tsetsés!

– Qu'est-ce que c'est que des tsetsés?

– Myne Gott! tous vos chevaux sont morts.

Swartboy se mit à expliquer d'un ton lamentable que les mouches qu'ils voyaient étaient venimeuses; que tous les chevaux mourraient infailliblement les uns après les autres, suivant le nombre des piqûres qu'ils avaient reçues, et qu'au bout d'une semaine il n'en resterait plus un seul.

– Il faut attendre, ajouta-t-il, vous verrez demain.

La triste prédiction se réalisa. Douze heures plus tard les chevaux étaient enflés; ils avaient les yeux fermés, refusaient de manger, et erraient d'un pas mal assuré dans la prairie, en exprimant leurs souffrances par de sourds gémissements.

Von Bloom les saigna et employa divers remèdes; mais inutilement. La blessure de l'œstre africain est incurable.