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Kitabı oxu: «Choix de contes et nouvelles traduits du chinois», səhifə 6

Various
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Le poète appela Kao-Ly, le chef des gardes, pour qu'il lui chaussât les bottines qu'il avait quittées, et il retourna au palais des Clochettes d'or avertir les envoyés de venir écouter les instructions du souverain. Il leur lut d'un bout à l'autre la lettre qu'il venait d'écrire, et en prononça les mots d'une voix harmonieuse et vibrante; de sorte que les étrangers n'osant articuler une parole, restèrent pâles d'effroi. Mais en prenant congé de sa Majesté, ils ne purent se soustraire à la danse mêlée de saluts, ni aux acclamations de vive l'Empereur!

L'académicien Ho-Tchi les reconduisit jusqu'aux portes de la capitale, et là les ambassadeurs lui demandèrent confidentiellement quel était cet homme qui avait donné lecture des instructions impériales.

«Il se nomme Ly-Pe, répondit Ho-Tchi, il a le titre de docteur du collège des Han-Lin. – Au milieu de tant de dignitaires, le premier ministre broyait son encre et le chef des gardes laçait ses bottines? – Ecoutez, ajouta Ho – Tchi: ces deux personnages sont à la vérité des magistrats intimes de sa Majesté; mais ce sont de très nobles courtisans qui ne dépassent pas la ligne des hommes ordinaires; le docteur Ly-Taï-Pe, au contraire, est un immortel descendu des cieux sur la terre pour aider de ses secours le souverain du céleste Empire. Quel autre pourrait l'égaler!»

Là-dessus les ambassadeurs s'éloignèrent en hochant la tête. De retour dans leur capitale, ils rendirent compte de leur mission au souverain. A la lecture de la réponse de Ly-Pe, le Ko-To fut terrifié, et il entra en délibération avec ses conseillers. – Le céleste Empire avait pour soutien un immortel descendu des cieux!.. était-il possible de l'attaquer?

Il écrivit donc une lettre de soumission, témoigna le désir d'envoyer chaque année un tribut; et chaque année en effet il vint en personne faire sa cour au souverain de la Chine. – Mais ici l'histoire se divise.

II

L'Empereur traitait donc Ly-Pe avec les plus grands égards, et il aurait désiré faire davantage encore en lui donnant une charge; mais le poète refusait. «Sire, disait-il, votre sujet ne veut point de place; ce qui lui sourit, c'est de pouvoir au gré de sa fantaisie errer en toute liberté, sans affaires qui l'occupent, et devenir l'humble serviteur de son Empereur, comme sous les Han le favori Tong-Fang-Sou. – Très bien! répondit Hiouan-Tsong, le docteur Ly-Pe ne veut pas d'emploi; les pièces de monnaie jaune, les tablettes de jade blanc, les diamants rares, les pierres précieuses dont nous pouvons disposer: voilà ce qu'il aime. – Non, Sire, reprit Ly-Pe, votre sujet n'a souci ni de l'or, ni du jade de sa Majesté; ce qui lui plairait, ce serait d'accompagner son souverain en voyage, et de passer tous ses jours à déguster d'excellent vin dont il viderait jusqu'à trois mille verres: cela lui suffirait.»

Connaissant donc les sentiments désintéressés du poète, l'Empereur ne voulut en rien le contraindre. De temps en temps il l'invitait à un banquet, et le gardait dans le palais des Clochettes d'or pour causer avec lui des affaires du gouvernement: les faveurs impériales ne cessaient de pleuvoir sur le docteur.

Un jour Ly-Taï-Pe se promenait à cheval dans les rues de Tchang-Ngan, lorsque un bruit confus de gongs, de tambours frappe son oreille, et il voit une troupe de gens armés de haches et de couteaux qui s'avance en escortant un char fermé dans lequel était un captif. Le poète arrête les gardes et les questionne. C'étaient des recors venus de Ping-Tcheou, qui amenaient prisonnier un général rebelle, vaincu et condamné à être décapité le même jour sur la place du marché de l'est. Or ce captif était un fort bel homme, qui annonçait dans sa personne quelque chose de très distingué; et quand on lui demanda son nom, il répondit, d'une voix retentissante comme l'airain de la cloche: «Je m'appelle Kouo-Tse-Y.»

Ly-Pe avait vu dans cette physionomie les traits d'un homme supérieur. Devenu depuis ces circonstances glorieuses un des appuis de l'état, le poète crie brusquement aux soldats de s'arrêter: «Attendez, dit-il, que j'aille présenter une requête aux pieds de sa Majesté, et me rendre caution de ce prisonnier.» Tout le monde reconnut Ly-Taï-Pe, le docteur, l'Immortel exilé, celui-là même dont la main impériale avait remué le bouillon avec son bâtonnet d'ivoire!.. Qui donc eût osé lui désobéir?

Le poète s'étant en effet dirigé à cheval vers le palais, demande à voir l'Empereur, sollicite et obtient de lui une lettre de grâce, qu'il revient lire sur la place du marché. Il ouvre ensuite le char fatal, et en lait sortir Kouo-Tse-Y, à qui la peine de son crime est remise et la liberté rendue, sous la condition qu'il méritera son pardon par de loyaux services. Le captif témoigna à Ly-Pe toute sa reconnaissance de ce bienfait signalé; plus tard, il se souvint de son généreux libérateur et le sauva du même péril43.

– Il sera fait mention de cette histoire en son lieu. Nous dirons seulement qu'à cette époque il y avait au palais de belles fleurs, envoyées en présent du pays de Yang-Tcheou. Ces plantes, nommées Mo-Cho-Yo du temps des Tang, sont les mêmes que nous appelons maintenant Meou-Tan (pivoines). Il en avait levé dans le palais quatre variétés qui revêtirent en s'épanouissant des nuances de diverses couleurs; c'étaient la grande rouge, la verte foncée, l'orange pâle et la blanche transparente. Hiouan-Tsong les avait fait transplanter devant la galerie des Parfums enivrants, et il prenait plaisir à les admirer en compagnie de l'Impératrice Yang-Kouey. Les comédiens furent appelés pour faire de la musique; mais l'Empereur pensa que, puisque la princesse aimait à jouir de la vue de ces Meou-Tan, on ne devait pas célébrer des plantes nouvelles avec d'anciennes chansons: il voulut que le chef de la troupe qui se nommait Ly-Kouei-Nien allât à la recherche du poète Ly-Pe.

Les serviteurs du palais vinrent annoncer que le docteur était sorti, et qu'il devait être à boire dans la taverne du marché. Ly-Kouei-Nien ne courut donc point dans les neuf grandes rues, il ne chercha point dans les trois grandes places; mais allant droit vers le marché, il entendit, du haut de l'étage supérieur d'un vaste cabaret, une voix qui chantait:

 
Quand on a bu trois verres, on a l'intelligence de la grande Voie;
Quand on a vidé la bouteille, on est identifié avec elle.
Ce n'est que dans les vapeurs du vin qu'on trouve le vrai bien-être;
Et sans s'éveiller de son ivresse, le poète passe à la postérité.
 

«Si ce chanteur n'est pas notre académicien Ly-Pe, pensa le comédien, qui sera-ce?» Il monte précipitamment l'escalier: le poète était là, installé tout seul sur un tout petit siège; près de lui est une table qui porte un vase de porcelaine, du milieu duquel s'élève une branche de pêcher couverte de belles fleurs marbrées; c'était devant ce bouquet qu'il chantait et buvait. Déjà il avait vidé bien des verres, il était ivre, très ivre, et il tenait toujours en main sa large tasse qu'il ne quittait pas.

«Sa Majesté est dans la galerie des parfums, dit alors l'acteur Kouei-Nien en s'adressant au buveur, et elle prie le docteur Ly-Pe de s'y rendre au plus vite.» En entendant l'ordre de l'Empereur, tous les hôtes de la taverne, frappés de surprise et de crainte, se lèvent et se regardent avec inquiétude. Mais le poète n'avait plus la moindre lueur de raison; il ouvre ses yeux appesantis par le vin, et on face du musicien il récita ce vers, avec un accent de joyeuse et insouciante gaîté:

Je suis ivre, je veux dormir: ainsi, allez vous promener!

Après avoir articulé ces paroles, comme son regard était fort obscurci par les vapeurs du vin, il voulut en effet dormir. Aussitôt le comédien prit son parti: il fit un geste par la fenêtre; sept à huit domestiques montèrent et, sans plus d'explication, prompts à exécuter ses ordres, ils se saisirent de Ly-Pe, puis l'emportèrent hors de la taverne et le firent asseoir sur un superbe cheval pommelé. Tandis que ceux-ci soutenaient le poète à droite et à gauche, Kouei-Nien suivait et fouettait la monture. Le cortège marcha directement vers la salle des Cinq Phénix; et l'Empereur, qui avait déjà envoyé des serviteurs pour hâter leur arrivée, permit à Ly-Pe d'entrer à cheval jusque dans le palais.

Dès que Kouei-Nien cessait de servir de point d'appui au poète, celui-ci était près de tomber; ils se mirent donc tous à le soutenir par les bras, et le conduisirent de cette manière dans la partie retirée du palais, où se trouvait Hiouan-Tsong; après avoir traversé les fossés qui font naître la joie, ils arrivèrent avec leur fardeau à la galerie des Parfums enivrants.

Lorsqu il vit paraître Ly-Pe à cheval, les yeux entièrement fermés, plongé encore dans le sommeil de l'ivresse, l'Empereur ordonna aux gens de sa suite d'étendre sur les dalles de la galerie un tapis violet (de la couleur même de la robe du docteur), afin qu'en descendant de cheval il pût s'y étendre. Ensuite il s'avança pour considérer le poète de plus près, et, remarquant quelques gouttes de salive autour de la bouche de Ly-Pe, le souverain du céleste Empire les essuya avec sa manche aux armes du Dragon. L'Impératrice fit observer qu'on répandait ordinairement un peu d'eau froide sur le visage des personnes endormies, pour les réveiller, et les serviteurs du palais allèrent aussitôt en puiser, dans le fossé qui fait naître la joie, une pleine coupe, que les jeunes suivantes de l'Impératrice jetèrent sur la figure du docteur.

Ly-Taï-Pe est réveillé en sursaut au milieu de son rêve; il aperçoit devant lui sa Majesté, et, rempli d'effroi, il se prosterne: «Sire, dit-il, votre sujet a mérité mille fois la mort; mais l'Immortel était dans les fumées du vin, et par bonheur sa Majesté est indulgente…» – Hiouan-Tsong lui tendit sa noble main pour le relever et dit: «Je suis ici avec mon épouse et mes fils occupé à admirer de belles fleurs qui réclament des chansons nouvelles; ainsi nous vous avons appelé pour que vous composiez deux pièces de vers qui puissent se chanter dans un ton brillant.»

Ly-Kouei-Nien présenta le papier fleuri et doré au poète, qui, tout plein encore de l'inspiration du vin, écrivit les trois pièces que voici:

I
 
En voyant les nues je songe à votre parure, en voyant
les fleurs je songe à voter visage;
La brise du printemps caresse la jalousie de la fenêtre, les
touffes de fleurs richement épanouies ruissèlent de rosée.
Si le sommet du mont Kiun-Yu-Chan ne s'était pas montré
devant moi,
J'aurais pu vous rencontrer, à la clarté de la lune, dans
le séjour des dieux.
 
II
 
La branche pourpre qui étincelle de rosée répand un frais
parfum;
Les nuées et les pluies qui battent incessamment le mont
Wou-chan attristent mon cœur.
Demanderai-je ce qui retrace cette image dans le palais
des Han?
Hélas! l'hirondelle légère se confie dans l'éclat d'une nouvelle
parure.
 
III
 
La fleur célèbre et (la belle favorite) qui cause la ruine des
empires, s'empressent à l'envi de plaire au monarque,
Et déjà toutes les deux ont obtenu d'attirer son gracieux
regard.
Oubliant les jalousies sans fin que l'amour44 a fait naître,
La favorite s'appuie au nord de la galerie des Parfums
enivrants, pour jouir du spectacle des Meou-Tan.
 

«C'est superbe! Quel talent divin! s'écria l'Empereur en prodiguant des éloges à ces trois pièces de vers: voilà de quoi culbuter tous les docteurs du collège des Han-Lin.» Il ordonna à Ly-Kouei-Nien de noter ces stances et de les chanter. Tous les musiciens de la troupe s'avancèrent avec leurs instruments à vent et à cordes, et Hiouan-Tsong les accompagna lui-même avec sa flûte de jade45. Lorsque le concert fut achevé, l'Impératrice souleva le voile de soie brodée et salua l'Empereur à plusieurs reprises» pour le remercier du plaisir qu'il lui avait procuré.

«Ce n'est pas mot, dit alors Hiouan-Tsong, ce n'est pas moi qu'il faut remercier, mais bien le poète Ly-Pe.» Et là-dessus la princesse prenant une coupe enrichie de toutes sortes de pierres précieuses, la remplit du jus des vignes de Sy-Leang, et les jeunes filles du palais la présentèrent à Taï-Pe qui la vida. Sa Majesté daigna aussi lui permettre de se promener dans le parc réservé, et ordonna à ses serviteurs de le suivre avec des coupes d'un vin choisi: le poète put donc se livrer de tout cœur à son goût favori. Depuis qu'il était établi dans le palais, chaque jour il était appelé devant l'Empereur, et chaque jour l'affection et l'estime de la princesse augmentaient.

Cependant Kao-Ly, le chef des gardes, conservait contre Taï-Pe une rancune qui datait de l'affaire des bottines, et il cherchait une occasion de s'en venger. Un soir donc l'Impératrice récitait à haute voix les trois pièces de vers composées à l'occasion des pivoines, et louait avec transport cette poésie. Kao-Ly-Sse, s'étant assuré qu'elle était seule, saisit l'occasion et s'adressant à la princesse: «Vraiment, lui dit-il, s'il ne se trompe, l'esclave indigne croit entendre son Altesse elle-même réciter les stances de Ly-Taï-Pe? Quand la colère devrait s'emparer de toute votre personne, vous vous plaisez au contraire à redire ces vers! – Et qu'est-ce qui doit exciter à ce point mon courroux, demanda l'Impératrice? – Ah! reprit Kao-Ly, écoutez ce vers qui dit:

Hélas! l'hirondelle légère se confie dans l'éclat d'une parure

nouvelle.

– »Ce vers fait allusion à la favorite Tchao, épouse de l'Empereur Tching-Ti, de la dynastie des Han Occidentaux46, dont le petit nom était Fey-Yen (l'Hirondelle légère).

– »Maintenant, dans la peinture, on représente un guerrier tenant à la main un bassin d'or, sur lequel est une jeune fille qui relève ses manches et danse: cette jeune fille, c'est Fey-Yen. Elle avait une taille fine et délicate, une démarche légère et gracieuse, elle était comme une branche fleurie qui tremble et vacille sous la main qui la touche. L'Empereur la combla de faveurs sans égales; et cependant, qui l'eût cru? l'Hirondelle légère entretenait de coupables relations avec un officier de la cour, qu'elle trouvait moyen de cacher dans la double boiserie de la muraille. Un jour l'Empereur, en entrant dans le palais, entendit tousser derrière la tapisserie; il chercha avec la main, trouva le coupable et le tua. Il avait l'intention de répudier la princesse, mais, grâce à ses artifices et à ceux de sa sœur, elle para le coup; seulement, pendant le reste de ses jours, elle ne put reparaître à la cour avec le titre d'Impératrice.

»Ainsi, dans cette pièce de vers, Ly-Pe vous compare à l'Hirondelle légère, il vous attaque et vous injurie par les paroles que je viens de citer. Se peut-il donc, Princesse, que vous ne vous en soyez pas aperçue?»

C'est que, vers le même temps, l'Impératrice entretenait aussi avec le traître Ngan-Lo-Chan des liaisons criminelles, tant au dehors qu'au dedans du palais, et toute la cour était instruite de cette intrigue, à l'exception de l'Empereur aveuglé. Par l'allusion qu'il venait de hasarder, Kao-Ly avait enfoncé une épine dans le cœur de la princesse, qui en conçut une haine profonde pour Ly-Pe. Elle parla de lui à Hiouan-Tsong comme d'un buveur grossier sans éducation, qui ne connaissait ni les devoirs d'un homme, ni ceux d'un sujet.

L'Empereur remarqua que son épouse avait du mécontentement contre le poète; il ne le fit plus appeler au palais et, à partir du jour suivant, ne l'invita plus à venir boire. De son côté, Ly-Pe ne fut pas sans s'apercevoir que cette disgrâce lui était suscitée par Kao-Ly; il comprit aussi que sa Majesté avait l'intention de rompre ses rapports avec lui; cependant plusieurs demandes qu'il adressa pour obtenir la permission de s'éloigner, restèrent sans réponse. Alors il s'abandonna sans réserve à son goût pour le vin, passant les jours en orgie avec Ho-Tchy-Tchang l'académicien et sept autres compagnons de plaisir, qu'on nommait alors les huit Immortels du banquet.

Au fond de son cœur Hiouan-Tsong chérissait le poète et l'estimait; toutefois, comme le temps de ces agréables réunions au palais était passé, par le fait il avait discontinué de le voir. Enfin, Ly-Pe ayant à plusieurs reprises sollicité la permission de retourner dans son pays, l'Empereur qui n'avait point banni de son cœur ses anciens sentiments d'affection, le fit venir et lui dit: «Vous avez de la poésie dans la pensée et de l'indépendance dans l'ame, nous vous permettons d'aller pour quelque temps là où vous appèlent vos vœux.»

Le jour était à peine écoulé, qu'il le rappela. «Vous nous avez rendu de grands services, ajouta-t-il; pouvons-nous vous laisser retourner dans vos montagnes, les mains vides? non; aussi tout ce dont vous avez besoin pour le voyage vous sera fourni par nous. – Votre sujet ne manque de rien, répondit Ly-Pe: un bâton et quelques pièces de monnaie pour acheter chaque jour de quoi boire, voilà tout ce qu'il lui faut.»

Cependant Hiouan-Tsong donna au poète une pancarte d'or, sur laquelle il avait écrit de sa main qu'il autorisait le docteur à parcourir tout l'Empire sans être inquiété de personne, en s'abandonnant, suivant son gré et son caprice, aux charmes de la poésie, et buvant dans les tavernes des villes qui se trouveraient sur son chemin, le tout aux frais du trésor public. Dans les chefs-lieux de premier ordre, il devait recevoir mille kouans47, et dans les villes secondaires, cinq cents. Quiconque, parmi les officiers civils et militaires, le peuple ou l'armée, manquerait d'égards envers le poète serait déclaré rebelle. Enfin l'Empereur donna en espèces à Ly-Pe mille leangs d'or, un vêtement de soie, une ceinture ornée de jade, un fouet doré, un cheval des écuries du palais et vingt domestiques pour former sa suite.

Le poète, prosterné aux pieds de sa Majesté, lui exprimait sa reconnaissance; mais Hiouan-Tsong ajouta encore à ces présents deux bouquets de fleurs en or et trois flacons du vin de son palais; puis il permit à Ly-Pe de monter à cheval en sa présence et de sortir ainsi du milieu de la cour. Les magistrats, ayant obtenu quelque temps de congé, offrirent à boire au docteur et l'escortèrent en pompe, depuis la capitale jusqu à un grand portique qui en est éloigné de dix lys, et les coupes se succédèrent sans relâche.

Yang-Kouey, le ministre, et le chef des gardes, Kao-Ly, avaient trop de rancune contre le poète pour se joindre au cortège. Quant à l'académicien Ho-Tchy-Tchang et les autres intimes de Ly-Pe, ils allèrent le reconduire jusqu'à la distance de cent lys; et il s'était écoulé trois jours depuis le départ de la capitale, quand ils se dirent adieu. Parmi les vers nombreux du poète, on a conservé ceux qui ont pour titre: Adieux aux amis du palais, en retournant dans les montagnes. En voici l'abrégé:

 
Reconnaissant et fier de l'édit impérial,
Il s'élève, comme la flamme, au milieu d'une colonne de
fumée.
Un matin, il s'éloigne des académiciens ses amis,
Et roule tristement au gré du vent, comme la plante sans
racines au gré des flots.
Il s'en va sans fatigue chanter vers le mont Tong-Wou;
Les chants peuvent s'épuiser, mais les sentiments ne tarissent
jamais;
C'est par ces lignes qu'il prend congé de ceux qu'il aime,
Car le bateau vient, au-devant du vieux pêcheur.
 

Vêtu de soie, le bonnet de gaze sur la tête, Ly-Pe poursuit sa route à cheval, et partout où il passe on l'appelle le Seigneur aux habits de soie. En effet, sa dépense dans les villes et le vin qu'il boit aux tavernes, tout cela est payé par le trésor. Bientôt il arrive dans le Kin-Tcheou et là il retrouve sa femme; les magistrats du lieu, instruits du retour de Ly-Pe dans sa famille, viennent lui présenter leurs hommages et leurs félicitations: il ne se passe pas un jour sans banquet.

Cependant les heures fuient, les mois se succèdent avec rapidité; la moitié d'une année s'était écoulée lorsque Ly-Pe annonça à sa femme qu'il allait se remettre en route pour visiter les fleuves et les montagnes. Cette fois, ne portant que les modestes insignes d'un lettré, et tenant cachée sur lui la pancarte donnée par l'Empereur, il emmène pour tout cortège un petit domestique et choisit un âne pour monture. Bien décidé à voyager ainsi, il part; dans les villes de premier et de second ordre, la pancarte est un talisman qui lui obtient tout ce qu'il veut consommer dans les cabarets.

Enfin, comme il passait sur les frontières du district de Hoa-Yn, il entendit dire par les habitants que le gouverneur de ce pays commettait des exactions et tyrannisait le peuple. Ly-Pe conçut l'idée d'aller lui donner une leçon: il va droit au palais du magistrat, fait retirer son domestique, et, resté seul, il pousse son âne en avant jusque dans la cour, aux portes même de l'hôtel, où il frappe trois fois.

Le gouverneur était dans la salle d'audience, occupé aux affaires publiques; à la vue de cet étranger, il s'écrie à plusieurs reprises et avec impatience: «C'est insupportable! c'est horrible! Qui ose insulter ainsi et narguer un magistrat supérieur, le père et la mère du peuple? – Allez, dit-il aux huissiers du tribunal, amenez-moi cet inconnu afin que je l'interroge.» Le poète feignit d'avoir bu, et il ne répondit à aucune des questions du magistrat, qui le remit immédiatement aux mains des geôliers pour le conduire en prison. «En attendant que la raison lui revienne, ajouta le gouverneur, je vais lui faire un joli procès, et demain la sentence sera prononcée.»

Les geôliers obéirent, et Ly-Pe fut mis au cachot; mais il frisait sa moustache et souriait en regardant l'intendant des prisons. «Cet homme est fou, dit l'officier, il a perdu la tête! – Non, répondit Ly-Pe, je ne suis pas fou, je n'ai pas perdu la tête. – Alors, reprit l'intendant, si vous avez votre raison, dressez donc une requête… Qui êtes-vous? Pourquoi entrer ainsi avec votre âne jusque dans le palais et braver arrogamment son Excellence?

– »Bien, répartit le poète, je vais dresser une requête: donnez-moi un pinceau et du papier. On plaça devant lui sur une table les objets qu'il demandait, et, poussant à l'écart l'intendant des prisons, il le pria de vouloir bien se tenir à distance pendant qu'il écrirait, «Définitivement le pauvre homme est fou, pensa l'officier, que va-t-il barbouiller?» Or, voici la requête du poète.

Celui qui dresse cette requête est natif de Kin-Tcheou, son nom est Ly-Pe. A l'âge de vingt ans, ses talents littéraires étaient immenses; quand il agitait son pinceau les esprits et les démons versaient des larmes; les huit Immortels de Tchang-Ngan retirés sur la rivière des Bambous rappellent le Grand Hermite. En écrivant une réponse aux Barbares dans leur propre langue, il a répandu le bruit de sa renommée dans toutes les villes de l'Empire. Partout où s'avance le char de jade, il l'accompagne; le palais des clochettes d'or est le lieu qu'il habite; le bouillon qu'on lui a servi trop chaud est remué par la main impériale; la manche de sa Majesté essuie la salive de ses lèvres; le chef des gardes Kao-Ly lui chausse ses bottines, le ministre Yang-Kouei broie son encre. Celui qui a eu l'honneur d'entrer à cheval jusqu'au palais du Fils du Ciel, ne peut-il donc se permettre de pénétrer dans l'hôtel du gouverneur de Hoa-Yn, monté sur un âne? Voici, pour preuve de ce qu'il avance, la pancarte impériale, où vous lirez ses titres.

Sa requête achevée, Ly-Pe la présente à l'intendant des prisons, qui y jette les yeux et devient si tremblant qu'il est près de s'évanouir. Il frappe la terre de son front, il se confond en témoignages de respect. «Docteur, vénérable docteur, s'écrie-t-il, je suis un misérable, un officier bien aveugle! mais je ne suis la cause de rien; on m'avait donné des ordres. Puis-je espérer que dans votre générosité, vaste comme les mers, vous daignerez excuser mon crime? – Ce n'est pas à vous que je m'en prends, répondit Ly-Pe; seulement je veux que vous alliez dire à votre commandant que je suis muni d'une pancarte de la main de sa Majesté: il se repentira de m'avoir fait jeter en prison.»

L'intendant partit en faisant mille salutations, et courut présenter la requête au gouverneur en lui racontant ce qu'il venait d'apprendre. A cette nouvelle, le magistrat fut interdit comme un enfant qui entend gronder la foudre sans pouvoir trouver un trou pour se cacher. Il se rendit en bâte dans la prison de Ly-Pe pour lui faire ses excuses, et là, prosterné: «En vérité, lui dit-il, le stupide magistrat a si peu de clairvoyance qu'il ne sait pas discerner le mont Tay-Chan! C'est par pure ignorance et sans nulle mauvaise intention qu'il a commis ce crime; il vous supplie donc de vouloir bien lui pardonner.»

Dès qu'ils furent instruits de cette affaire, tous les fonctionnaires du district vinrent saluer le poète et intercéder pour le gouverneur; ils le prièrent de s'asseoir à la première place dans la salle d'audience. Là, les cérémonies achevées, Ly-Pe déploya la pancarte impériale et la donna à lire aux magistrats assemblés. «Voyez, leur dit-il: – «Quiconque, parmi les officiers civils ou militaires, le peuple ou l'armée, lui manquera d'égards, sera considéré comme rebelle.» – D'après ce texte, quel châtiment avez-vous mérité?» Et les magistrats, à ces mots de l'édit impérial, s'étaient de nouveau prosternés tous ensemble, et ils redoublaient leurs salutations, en répétant: «Nous avons mille fois mérité la mort!»

Cependant, en les voyant tous si désolés, si suppliants, Ly-Pe se mit à sourire. «Ainsi, leur dit-il, vous recevez de sa Majesté des emplois et des traitements!.. serait-ce par hasard pour tyranniser et opprimer le peuple?.. Changez donc de conduite, effacez vos torts passés, et vous éviterez une humiliante punition.

Les magistrats avaient joint les mains en entendant ces paroles: chacun d'eux en particulier s'en souvint et s'y conforma, et personne n'osa se laisser aller aux mêmes fautes. On prépara un grand festin dans la salle d'audience, et Ly-Pe fut magnifiquement traité: on ne se sépara qu'au bout de trois jours. Quant au gouverneur de Hoa-Yn, il purifia son cœur, revint à des sentiments de justice et fut par la suite un excellent magistrat.

Toutefois, la nouvelle de cette aventure s'étant répandue dans la province, on en conjectura généralement que le docteur Ly-Pe faisait une tournée incognito, pour examiner les mœurs du pays et surveiller la conduite des magistrats; et il n'y en eut aucun qui ne renonçât à ses habitudes de cupidité pour adopter des principes meilleurs; aucun qui, de pervers qu'il était, ne devînt honnête et vertueux.

Le poète parcourut l'un après l'autre le pays de Tchao, de Wei, de Yen, de Tsin, de Tsy, de Leang et de Tsou, choisissant les fleuves et les montagnes pour lieu de halte dans les tavernes et pour sujet de vers. Mais, à l'occasion de la révolte de Ngan-Lo-Chan48, l'Empereur s'était retiré dans le pays de Cho, avait fait périr son favori Yang-Kouey au milieu de l'armée, et pendre l'Impératrice dans une pagode bouddhique, Ly-Pe, afin d éviter ces troubles, alla se cacher au mont Lou-Tchan.

Lorsque Tching-Wang-Ling, général en chef, commandant du sud-est, profitant des circonstances, songea à monter sur le trône; il se souvint de ce qu'on avait dit des talents de Ly-Pe, le força de descendre de sa montagne et voulut lui donner une place que le poète ne pouvait accepter sans trahison. Il refusa donc cette offre, mais il fut retenu au camp du général.

Plus tard, dès que Sou-Tsong fut proclamé Empereur légitime à Ling-Wou, il nomma pour commandant en chef de la cavalerie Kouo-Tse-Y, celui-là même que Ly-Pe avait arraché à la mort. Les deux capitales étaient rentrées dans le devoir, quand arriva la nouvelle de la révolte méditée par Tching-Wang. Or, ce fut Kouo-Tse que l'Empereur Sou-Tsong envoya pour châtier les rebelles; ceux-ci furent défaits; le pauvre poète parvint à échapper au carnage, et il était arrivé en fuyant jusqu'à l'embouchure du Yang-Kiang, lorsque le poste qui gardait le passage l'arrêta.

On le prit pour un des complices de la révolte et on le conduisit devant le général en chef; mais c'était Kouo-Tse… Il reconnaît son libérateur, et, renvoyant avec dureté le soldat qui l'amène, lui-même il détache les liens du captif, le fait asseoir sur son siège, puis, s'inclinant vers lui et le saluant avec politesse: «Docteur, lui dit-il, si autrefois vous n'aviez rendu un aussi éclatant service à un inconnu sur le marché de la capitale, qu'arriverait-il aujourd'hui?» Là-dessus il lui fit apporter du vin pour calmer sa frayeur, et, après quelques nuits de repos, le poète fut tout-à-fait remis.

Le général Kouo-Tse se chargea de justifier Ly-Pe aux yeux de l'Empereur; il lui rappela les services rendus par le docteur à Hiouan-Tsong, quand il avait écrit la réponse aux Barbares de Po-Hai, et loua ses talents remarquables, dont on pouvait tirer un grand parti. C'est ainsi que le bienfait eut sa récompense. On a raison de dire:

 
Si deux feuilles flottent de compagnie en retournant dans
l'Océan,
Les hommes n'auront-ils pas dans la vie une occasion de
se rencontrer?
 

Cependant Yang-Kouey avait été puni de mort, et Kao-Ly, de son côté, envoyé en exil. Hiang-Tsong49 était retourné du pays de Cho dans la capitale, pour y vivre en qualité d'Empereur honoraire. Il fit un si grand éloge de Ly-Pe devant Sou-Tsong que ce nouveau monarque voulut le nommer son historiographe de la gauche. Mais le docteur objecta que les embarras sérieux et multipliés d'une semblable fonction ne lui permettraient pas de vivre dans la joyeuse indépendance à laquelle il était habitué. Il ne voulut point accepter, fit ses adieux au commandant Kouo-Tse-Y et s'en alla se promener en bateau sur le lac Tong-Ting50; puis il traversa de nouveau le Kin et le Ling-Tcheou et vint jeter l'ancre aux bords du fleuve Tsay-Chy.

Or, cette nuit-là, la lune brillait, il faisait clair comme en plein jour; Ly-Pe soupait sur le fleuve, lorsque tout-à-coup, au sein des airs, retentit un concert de voix harmonieuses qui peu à peu s'approcheront du bateau; nul homme à bord n'entendit ces voix qui ne résonnaient qu'aux oreilles du poète. Puis il s'éleva aussitôt un grand tourbillon au milieu des eaux: c'étaient des baleines qui se dressaient debout en agitant leurs nageoires; et deux jeunes immortels, portant à la main des étendards pour indiquer la route, arrivèrent en face de Ly-Pe. Ils venaient de la part du maître des Cieux le prier de retourner prendre sa place dans les régions supérieures. A cette vue, les gens de l'équipage tombèrent renversés par la frayeur; et à peine avaient-ils repris leurs sens, qu'ils virent le poète assis sur le dos d'une baleine51, les voix harmonieuses guidaient le cortège… Bientôt tout disparut à la fois dans les nues!

43.Il y a dans le texte: «Dans d'autres temps, il noua l'herbe. Cette expression proverbiale est empruntée au Tso-Tchouen, et voici le fait tel qu'il est rapporté, livre 3, folio 55 de cette chronique.
  Oey-Tcheou (nommé aussi Wou-Tse), avait une concubine favorite qui ne lui avait point donné d'enfants. Il tomba malade et recommanda cette femme à son fils Oey-Ko, dans le cas où il viendrait à mourir; puis, sa maladie s'étant aggravée, il changea d'avis et exigea que son héritier la fît périr à sa mort. Le vieux prince expira peu de temps après, et Oey-Ko se chargea de la concubine de son père. «La souffrance avait égaré sa raison, pensa-t-il, ainsi donc je suivrai les premières recommandations qu'il m'a laissées.»
  Dans la suite (cette femme était vivante encore) Oey-Ko attaqua le roi de Tsin, nommé Tou-Wei, et il était serré de près par lui, lorsqu'il aperçut sur ses talons un spectre qui nouait l'herbe pour faire tomber l'ennemi acharné à sa poursuite. En effet Tou-Wei s'embarrassa le pied et fit une chute. La nuit suivante, Oey-Ko vit en songe cette même apparition qui lui dit: «Je suis le père de la concubine sauvée; vous avez eu égard non aux dernières paroles, mais aux premières recommandations de votre père, et vous n'avez pas fait périr ma fille: j'ai noué l'herbe sous les pas de votre ennemi, afin de vous témoigner ma reconnaissance d'un si grand service.»
44.L'amour est désigné ici par l'expression poétique de vent du printemps.
45.L'Empereur Hiouan-Tsong aimait beaucoup la musique: ce fut même chez lui une passion qui le détourna des affaires publiques, et causa tous les malheurs de la fin de ce beau règne.
46.Tching-Ti monta sur le trône l'an 32 avant J. – C. La princesse dont il est ici question était une comédienne dont il fut très épris et qu'il éleva au rang d'Impératrice.
47.Le Kouan, ou enfilade de mille deniers, représente de nos jours 7 fr. 50 cent.
48.Ngan-Lo-Chan, turc réfugié en Chine, devint le favori de Hiouan-Tsong, se révolta contre son maître, en 755, battit ses armées, entra dans la capitale, d'où le souverain s'était enfui, et se fit déclarer Empereur.
49.Il vivait encore, et lui-même s'était choisi un successeur en abdiquant entre les mains de son fils.
50.Grand lac dans la province de Ho-Nan.
51.Ce dénouement, un peu puéril bien qu'assez poétique, est un des sujets favoris que depuis long-temps les artistes chinois se plaisent à reproduire: les groupes de porcelaine, si communs en Europe, qui représentent un homme à cheval sur un poisson monstrueux, ne sont autre chose que l'apothéose du poète Ly-Taï-Pe.
Yaş həddi:
12+
Litresdə buraxılış tarixi:
22 oktyabr 2017
Həcm:
250 səh. 1 illustrasiya
Tərcüməçi:
Müəllif hüququ sahibi:
Public Domain

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