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La vie de Rossini, tome II

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CHAPITRE XXVII
DE LA RÉVOLUTION OPÉRÉE DANS LE CHANT PAR ROSSINI

Les Gabrielli, les Todi, les de'Amicis, les Banti, ont passé56, et il ne reste de ces talents enchanteurs que le retentissement, tous les jours plus faible, des louanges passionnées de leurs contemporains; ces noms illustres, cités tous les jours, mais tous les jours rappelant un moins grand nombre d'idées et des idées moins nettes, finiront par faire place à des célébrités moins anciennes. Tel est le sort qui attend également les Le Kain, les Garrick, les Viganò, les Babini, les Giani, les Sestini, les Pacchiarotti. Il en est de même des conquérants; que reste-t-il d'eux? Un nom, un bruit, quelque ville brûlée, bien peu de chose de plus que d'un acteur célèbre. Je compte pour peu, comme on voit, l'enthousiasme des âmes communes, adoratrices nées des broderies et du pouvoir57, et qui vénèrent un roi parce qu'il fut roi, même quand trois mille ans pèsent sur sa tombe. Ces gens-là ôtent leur chapeau en entrant au tombeau égyptien du roi Psami. Pour en revenir aux hommes dignes de gloire, en savons-nous beaucoup plus sur Marcellus, l'épée de Rome, que sur Roscius? et dans cinquante ans, M. le Maréchal Lovendhal sera-t-il aussi célèbre que Le Kain? Encore dans cette gloire des grands capitaines, faut-il faire la part de l'occasion et des facilités, ce qui gâte la gloire. Si Desaix eût été premier magistrat de la France, n'eût-il pas été plus simple, plus noble, plus sublime que Napoléon? Ne peut-on pas dire: La moitié de la gloire militaire de Napoléon, le dévouement de sa garde, par exemple, et les marches rapides qu'il en exigea en 1809, il le doit à sa qualité de souverain qui lui permettait de faire en trois mois un général de division d'un colonel qui lui plaisait.

Après ce petit mot adressé aux gens solides qui, en caressant leurs croix, se donnent les airs de mépriser les artistes, je reviens à ces âmes sublimes qui surent mépriser l'antichambre, qui sentirent avec force les passion les plus nobles du cœur humain, et qui, par elles, firent le charme de leurs contemporains.

Nous avons vu naître, sous nos yeux, plusieurs sciences et quelques arts; par exemple, le goût du pittoresque dans les paysages et dans les jardins d'agrément, était encore inconnu du temps de Voltaire, et nos tristes châteaux bâtis sous Louis XV, avec leurs cours pavées et leurs avenues d'arbres ébranchés, en portent un triste témoignage. Il est assez naturel que les arts les plus délicats, ceux qui cherchent à plaire aux âmes les plus distinguées, soient les derniers à naître.

Peut-être trouvera-t-on de nos jours l'art de décrire avec exactitude le talent de mademoiselle Mars ou celui de madame Pasta, et dans cent ans d'ici ces talents sublimes auront, dans la mémoire des hommes, une physionomie distincte.

Si l'on parvenait à faire un portrait exact et ressemblant du talent des grandes cantatrices, ce n'est pas seulement leur gloire particulière qui y gagnerait, c'est l'art lui-même qui ferait aussitôt des progrès immenses. De grands philosophes ont pensé que ce qui différencie du génie de l'homme l'instinct admirable de certains animaux, c'est la faculté dont jouit tout individu de l'espèce humaine de transmettre à ses successeurs les progrès, si peu considérables qu'ils soient, qu'il a fait faire à l'art, à l'industrie, au métier dont il s'est occupé toute sa vie. Cette transmission existe d'une manière complète pour les Euclide et les Lagrange; elle ne se retrouve déjà plus qu'à un certain point pour l'art des Raphaël, des Canova et des Morghen; pourra-t-on l'établir un jour pour l'art des Davide58, des Velluti et des Fodor? Pour faire quelques pas, il faut oser parler nettement et sans emphase de l'art du chant. C'est ce que je vais essayer dans quelques pages d'ici.

Avant tout, dans les beaux-arts, pour être susceptible de plaisir il faut sentir fortement. Je ferai remarquer en passant que les gens renommés pour leur sagesse, dans une nation comme dans une société particulière, ne sont jamais choisis parmi les êtres qui ont reçu du ciel le don de sentir avec force. Un très petit nombre de ces êtres favorisés, tel qu'Aristote chez les anciens, aura reçu l'étonnante faculté d'analyser aujourd'hui avec une exactitude parfaite, la sensation puissante qui, hier, leur donnait les transports du plaisir le plus vif. Quant au vulgaire des philosophes, doués d'une logique admirable, et qui sur tous les autres objets du savoir ou des recherches de l'homme, leur fait éviter l'erreur, s'ils viennent à s'occuper des beaux-arts, où d'abord il faut avant tout avoir senti avec force, ils ne peuvent éviter le ridicule. Tel a été parmi nous le sort de d'Alembert et de tant d'autres qui valent moins que lui.

Ce qui distingue les nations sous le rapport de la peinture, de la musique, de l'architecture, etc., c'est le plus ou moins grand nombre de sensations pures et spontanées que les individus même vulgaires de ces nations reçoivent de ces arts59. Des gens qui aimeraient passionnément une mauvaise musique, seraient plus près du bon goût que des hommes sages qui aiment avec bon sens, raison et modération, la musique la plus parfaite qui fut jamais. C'est ainsi qu'un prêtre aimera mieux un sectateur fanatique, superstitieux et furieux du dieu Fo, du dieu Apis, ou de telle autre divinité ridicule, qu'un philosophe parfaitement raisonnable, ami avant tout du bonheur des hommes, quel que soit le moyen qui le procure, et qui par les lumières de son esprit sera arrivé à la connaissance d'un dieu unique, rémunérateur et vengeur.

Canova racontait une petite anecdote qu'il tenait d'un de ses admirateurs d'Amérique. Il s'agit d'un sauvage qui, il y a quelques années, se trouva vis-à-vis d'une tête à perruque, à Cincinnati. Canova montrait un petit écrit de huit lignes; c'était la traduction des expressions d'étonnement et d'enthousiasme qui échappèrent au sauvage à la vue de cette tête de bois, la première imitation de la figure humaine qu'il eût jamais rencontrée. Ce que la modestie de Canova, le plus doux et le plus simple des hommes, l'empêchait d'ajouter, nous le disions pour lui. Un homme de goût, en voyant son groupe sublime de Vénus et Adonis chez M. le marquis Berio à Naples, où le grand sculpteur nous montre la déesse agitée d'un pressentiment funeste en disant le dernier adieu à son amant qui part pour la chasse où il doit périr; un homme du goût le plus délicat, en voyant ce chef-d'œuvre admirable de la grâce la plus divine et du sentiment le plus fin60, exprime son admiration précisément dans les mêmes termes que le sauvage. C'est que dans le fait, l'admiration extrême de ces deux hommes, l'effet produit sur leur âme est absolument le même; il n'y a d'exception que dans le cas trop commun où l'admirateur de Canova se trouve être un pédant, qui veut d'abord se faire admirer. Toute la différence est dans l'objet extérieur qui excite le même degré d'admiration et de ravissement chez des êtres d'ailleurs si différents. Il est trop évident que les paroles d'admiration dans les arts ne prouvent jamais que le degré de ravissement de l'homme qui admire et nullement le degré de mérite de la chose admirée.

 

Lorsqu'un homme vous dit qu'il admire une grande cantatrice, madame Belloc ou mademoiselle Mariani (cette dernière est pour moi le plus beau contralto existant), la première chose dont il faut s'enquérir, c'est si cet homme est né dans une religion où l'on chante bien à l'église. Supposons l'homme le plus susceptible d'être ravi par les sons; s'il est né à Nevers, comment voulez-vous qu'il admire Davide? Il aimera mieux Dérivis ou Nourrit. C'est tout simple, les trois quarts des fioriture que fait Davide lui sont invisibles. L'habitant de Nevers, fort estimable d'ailleurs, qui dans sa ville n'a pas l'occasion d'entendre bien chanter quatre fois par an, sera pour Davide comme nous étions à Berlin pour un peintre qui, dans un morceau d'ivoire grand comme une pièce de vingt francs, avait représenté la bataille de Torgau, l'une des victoires du grand Frédéric. Avec nos yeux non armés du secours d'une loupe, nous n'y pouvions rien distinguer. La loupe qui manque à l'habitant de Nevers, c'est le plaisir d'avoir applaudi à cinquante représentations du Barbier de Séville, chanté par la voix superbe de madame Fodor. Le jeune Allemand de la petite ville de Sagan, en Silésie, entend chanter deux fois la semaine à l'église et dans les rues de sa ville, de la musique écrite sans génie, si l'on veut, mais exécutée avec netteté et précision, qualités qui suffisent pour l'éducation de l'oreille. Voilà ce qui manque entièrement à l'habitant de Nevers, ville d'ailleurs bien plus grande et bien plus importante que Sagan.

CHAPITRE XXVIII
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES: HISTOIRE DE ROSSINI PAR RAPPORT AU CHANT

La musique pourra se glorifier d'avoir fait en France un pas immense, le jour où la majorité des spectateurs répondra tout simplement pour justifier ses applaudissements: Ce morceau me plaît61. Telle aurait été sans doute la réponse des Athéniens, si quelque étranger était venu leur demander compte des transports qu'excitaient parmi eux les tragédies d'Eschyle; les traités d'Aristote n'avaient pas encore ouvert la bouche aux gens qui n'ont rien à dire. Chez nous, au contraire, tout le monde aspire à donner le pourquoi de son enthousiasme, et l'on n'aurait que du mépris dans les loges de Louvois pour le spectateur qui répondrait avec simplicité: Je sens ainsi. Mais ce n'est pas tout, nos malheurs vont plus loin: ces spectateurs, jugeant malgré l'absence du sentiment, ont créé des foules d'artistes: poëtes en vertu de La Harpe, ou musiciens par l'effet du Conservatoire. La société de Paris est remplie de ces pauvres gens qui ne peuvent offrir aux arts dans leur jeunesse, que les inspirations d'une âme sèche; et plus tard, que les soupirs d'un cœur irrité et rendu méchant par le souffle brûlant d'une vanité malheureuse, et le triste effet de cinq ou six chutes honteuses. Quelques-uns de ces pauvres artistes, découragés par le bruit constant des sifflets, et que je tiens réellement pour les plus malheureux des hommes, se font juges; ils impriment, et nous lisons dans le Miroir cette phrase amusante: la voix sépulcrale de madame Pasta: en fait de musique, c'est nier la lumière.

Ce qui peut détruire les arts chez une nation ou les empêcher de naître, c'est la quantité de ces juges dont l'âme manque de sensibilité et de folie romanesque, mais qui du reste ont étudié avec l'exactitude mathématique et la persévérance d'un caractère froid tout ce qui a été dit ou écrit sur l'art malheureux qu'ils affligent de leur culte. Nous trouvons ici dans la nature, la réalité d'une image qui est devenue un lieu commun dans nos théories poétiques; l'excès de la civilisation arrêtant les progrès des beaux-arts62. Je me refuse les applications odieuses de ces considérations générales, et j'arrive brusquement à l'histoire de Rossini. Lorsque ce grand compositeur entra dans la carrière (1810), de tous les beaux-arts, le chant était peut-être celui qui avait le plus ressenti les effets funestes d'une époque de guerres sublimes et de réactions cruelles. Dans la haute Italie, à Milan, à Brescia, à Bergame, à Venise, depuis 179763, on songeait à toute autre chose qu'à la musique et au chant. Le Conservatoire de Milan n'avait encore produit, en 1810, aucun sujet distingué.

A Naples, il n'existait plus un seul de ces Conservatoires célèbres qui depuis si longtemps fournissaient à l'Europe les maestri et les chanteurs en possession de faire naître ses transports et de lui révéler le pouvoir de la musique. Le chant ne s'enseignait plus que dans quelques églises obscures; et les deux derniers hommes de génie que Naples eût produits, les compositeurs Orgitano et Manfrocci, avaient été enlevés au commencement de leur carrière. Rien ne se présentait pour leur succéder, et l'on ne trouvait plus aux rives du Sebeto que le silence de la nullité ou les essais décolorés de la plus incurable médiocrité.

Babini, ce grand chanteur qui est resté sans rival, avait vu Rossini; mais sa voix affaiblie par l'âge, n'avait pu que lui raconter les miracles qu'elle produisait autrefois. Crescentini brillait à Saint-Cloud, où il faisait commettre à Napoléon64 la seule étourderie que ce grand homme ait à se reprocher dans son gouvernement civil; mais, quoique chevalier de la couronne de fer, il était perdu pour l'Italie.

Marchesi n'était plus au théâtre.

Le sublime Pacchiarotti voyait avec larmes la décadence d'un art qui avait fait le charme et la gloire de sa vie. De quel mépris ne devait pas être inondée l'âme de ce véritable artiste, lui qui jamais ne s'était permis un son ou un mouvement sans le calculer sur les besoins actuels de l'âme du spectateur, le but unique de tous ses efforts, lorsqu'il voyait un chanteur n'avoir pour toute ambition que le mérite mécanique de devenir le rival heureux d'un violon65 dans une variation à trente-deux biscromes66 par mesure! L'art le plus touchant autrefois se change tranquillement sous nos yeux en un simple métier. Après les Babini, les Pacchiarotti, les Marchesi et les Crescentini, l'art du chant est tombé à ce point de misère qu'il n'est plus aujourd'hui que l'exécution fidèle et inanimée de la note. Voilà en 1823 quel est le point extrême de l'habileté d'un chanteur. Mais l'ottavino67, le gros tambour, le serpenteau des églises, ont la même ambition, et y arrivent à peu près avec le même succès. L'on a banni l'invention du moment, d'un art où les plus beaux effets s'obtiennent souvent par l'improvisation du chanteur; et c'est Rossini que j'accuse de ce grand changement.

CHAPITRE XXIX
RÉVOLUTION

Je ne réponds pas que les chapitres suivants ne soient au nombre des plus ennuyeux de tout l'ouvrage. J'ai réuni exprès ici tout ce que j'étais obligé de dire sur l'art du chant, afin qu'on pût le sauter plus facilement. Je dois prévenir que les discussions suivantes n'offrent absolument aucun intérêt aux personnes qui ne vont pas très souvent au théâtre Louvois.

Nous avons vu que, par l'effet des circonstances politiques de l'Italie, Rossini, à son entrée dans la carrière, ne trouva qu'un très-petit nombre de bons chanteurs, et encore étaient-ils sur le point de quitter le théâtre. Malgré cet état de pauvreté et de décadence si différents de l'abondance et de la richesse au milieu desquelles avaient écrit les anciens compositeurs, Rossini suivit tout à fait dans ses premiers ouvrages le style de ses prédécesseurs; il respectait les voix et ne cherchait qu'à amener le triomphe du chant. Tel est le système dans lequel sont composés Demetrio e Polibio, l'Inganno felice, la Pietra del Paragone, Tancredi68, etc. Rossini avait trouvé la Marcolini, la Malanotte, la Manfredini, la famille Mombelli; pourquoi n'aurait-il pas cherché à faire triompher le chant, lui qui est si bon chanteur, lui qui, lorsqu'il se met au piano pour dire un de ses airs, semble transformer à nos yeux en génie de chanteur tout celui que nous lui connaissons pour l'invention des cantilènes? Il arriva un petit événement qui changea tout à coup la manière de voir du jeune compositeur, et qui donna à son génie des qualités dont l'exagération fait le tourment de ses admirateurs les plus sincères.

 

Rossini arrive à Milan en 181469, pour écrire l'Aureliano in Palmira; il y trouve Velluti qui devait chanter dans son opéra; Velluti, alors dans la fleur de la jeunesse et du talent, et l'un des plus jolis hommes de son siècle, abusait à plaisir de ses moyens prodigieux. Rossini n'avait jamais entendu ce grand chanteur, il écrit pour lui la cavatine de son rôle.

A la première répétition avec l'orchestre, Velluti chante, et Rossini est frappé d'admiration; à la seconde répétition, Velluti commence à broder (fiorire), Rossini trouve des effets justes et admirables, il approuve; à la troisième répétition, la richesse de la broderie ne laisse presque plus apercevoir le fond de la cantilène. Arrive enfin le grand jour de la première représentation: la cavatine et tout le rôle de Velluti font fureur; mais à peine si Rossini peut reconnaître ce que chante Velluti, il n'entend plus la musique qu'il a composée; toutefois, le chant de Velluti est rempli de beautés et réussit merveilleusement auprès du public70, qui, après tout, n'a pas tort d'applaudir ce qui lui fait tant de plaisir.

L'amour-propre du jeune compositeur fut profondément blessé; son opéra tombait et le soprano seul avait du succès. L'esprit vif de Rossini aperçut en un instant toutes les considérations qu'un tel événement pouvait lui suggérer.

«C'est par un hasard heureux, se dit-il à lui-même, que Velluti se trouve avoir de l'esprit et du goût; mais qui m'assure que dans le premier théâtre pour lequel je composerai, je ne rencontrerai pas un autre chanteur qui, avec un gosier flexible et une égale manie pour les fioriture, ne me gâtera pas ma musique de manière à la rendre non-seulement méconnaissable pour moi, mais encore ennuyeuse pour le public, ou tout au plus remarquable par quelques détails de l'exécution? Le danger de ma pauvre musique est d'autant plus imminent qu'il n'y a plus d'écoles de chant en Italie. Les théâtres se remplissent de gens qui ont appris la musique de quelque mauvais maître de campagne. Cette manière de chanter des concerto de violon, des variations sans fin, va détruire non-seulement le talent du chanteur, mais encore vicier le goût du public. Tous les chanteurs vont imiter Velluti, chacun suivant la portée de sa voix. Nous ne verrons plus de cantilènes simples; elles sembleraient pauvres et froides. Tout va changer, jusqu'à la nature des voix; accoutumées une fois à broder et à toujours charger une cantilène de grands ornements fort travaillés et étouffant l'œuvre du compositeur, elles se trouveront bientôt avoir perdu l'habitude d'arrêter la voix et de filer des sons, et hors d'état par conséquent d'exécuter le chant spianato et sostenuto; il faut donc me hâter de changer le système que j'ai suivi jusqu'ici.

«Je sais chanter; tout le monde m'accorde ce talent; mes fioriture seront de bon goût; d'ailleurs je découvrirai sur-le-champ le fort et le faible de mes chanteurs, et je n'écrirai pour eux que ce qu'ils pourront exécuter. Le parti en est pris, je ne veux pas leur laisser de place pour ajouter la moindre appoggiatura71. Les fioriture, les agréments feront partie intégrante du chant, et seront tous écrits dans la partition.

«Et quant à MM. les impresari qui prétendent me payer en me promettant pour seize à dix-huit morceaux, tous destinés aux premiers rôles, ce qu'on donnait jadis à mes prédécesseurs pour quatre ou six morceaux tout au plus, je trouve un moyen parfait de répondre à leur mauvaise plaisanterie; dans chaque opéra trois ou quatre grands morceaux n'auront de nouveau que les variazioni que j'écrirai moi-même. Au lieu d'être inventées par un mauvais chanteur, sans esprit, elles seront écrites avec goût et science; l'avantage sera encore tout entier pour ces coquins d'impresari.»

On sent bien qu'en ma qualité d'historien, je viens d'imiter Tite-Live. J'ai mis dans la bouche de mon héros un discours dont assurément il ne m'a jamais fait la confidence; mais il est impossible qu'à une époque quelconque des premières années de sa carrière, Rossini n'ait pas eu ce monologue avec lui-même; ses partitions le prouvent.

Plus tard, à Naples, mademoiselle Colbrand n'ayant plus qu'une voix fatiguée à offrir à tous ses chefs-d'œuvre72, il fut obligé de fuir encore davantage le chant spianato, et de se jeter avec encore plus de fureur dans les gorgheggi, seule partie du chant dont mademoiselle Colbrand pût se tirer avec honneur. Un examen attentif des partitions écrites à Naples par Rossini prouve jusqu'où allait sa passion pour la prima donna; on n'y trouve plus un seul cantabile spianato, ni pour elle, ni à plus forte raison pour les autres rôles qui avant tout ne devaient pas éclipser le sien. Rossini ne pensait guère à la gloire; il est peut-être de tous les artistes celui qui y a jamais le moins songé. Une conséquence fatale de ses complaisances pour mademoiselle Colbrand, c'est que ces neuf opéras, composés à Naples, perdent infiniment à être chantés ailleurs. De tout temps d'ailleurs, Rossini avait eu l'habitude de résumer ses pensées, et d'en faire des cabalette.

Si mademoiselle Colbrand ne s'était trouvé qu'une portée de voix extraordinaire, on aurait eu la ressource, dans les théâtres où elle n'était pas, de transposer les rôles (puntare), et l'on aurait fait disparaître, par ce procédé simple, quelques notes appartenant au diapason singulier pour lequel le maestro aurait écrit. Au moyen de la transposition, deux bonnes cantatrices, quoique avec des voix différentes, peuvent souvent produire un grand effet dans le même rôle73.

Malheureusement il n'en est pas ainsi de la musique que Rossini a écrite à Naples. On n'a pas seulement à lutter avec l'étendue de la voix, mais encore avec la qualité et la nature des ornements, et cet obstacle est terrible et presque toujours insurmontable. J'en appelle à tout amateur qui aura lu un rôle (una parte) de Davide ou de la Colbrand.

Ainsi Velluti à Milan, dans l'Aureliano in Palmira, fit naître chez Rossini l'idée de la révolution qu'il devait exécuter plus tard, et mademoiselle Colbrand à Naples le força à donner à cette révolution une extension que je crois fatale à sa gloire. Tous les opéras écrits à Naples forment la seconde manière de Rossini.

56Je cède à la tentation de placer ici quelques traits de ces conversations, si intéressantes pour moi, que je rencontrais quelquefois à Naples. Si l'on trouve quelques idées agréables ou utiles dans les chapitres suivants, elles appartiennent en entier à M. le chevalier de Micheroux, ancien ministre à Dresde. Je dois à cet amateur éclairé des notes pleines de bonté sur plusieurs erreurs où j'étais tombé dans les autres parties de cette biographie. La musique ne laisse pas de traces en Italie; les articles de journaux sont des hymnes ou des philippiques, et, du reste, présentent rarement quelque chose de positif. Cet ouvrage-ci étant composé d'un grand nombre de petits faits, doit contenir bien des erreurs. Il y a telle date d'une première représentation qui m'a coûté la peine d'écrire vingt lettres, et encore ne suis-je pas trop sûr de l'époque que j'ai adoptée.
57Les gens qui viennent d'applaudir durant quatre-vingts représentations de suite les insolences de Sylla envers les Romains, c'est-à-dire les mépris de Napoléon pour le peuple français.
58Davide le père, qui fut un chanteur aussi célèbre que son fils, reproche vivement à celui-ci de ne pas mettre assez de douceur dans son chant, et de trop sacrifier à l'agilité; un jour, à ce propos, il a voulu le battre. J'ai vu Davide le père chanter au théâtre de Lodi en 1820; il avait, disait-on, soixante-dix ans. Il habite Bergame, ainsi que le bon Mayer, l'auteur de Ginevra di Scozia.
59Les peuples entre la Meuse et la Loire sentent fort peu la musique; le sentiment pour cet art renaît déjà vers Toulouse comme dans les environs de Cologne.
60C'est par le mouvement que la musique élève l'âme jusqu'aux sentiments les plus délicats, et parvient à les rendre sensibles à des yeux souvent assez grossiers. Un gros millionnaire, ému, arrive à sentir un instant comme un homme d'esprit. C'est par l'immobilité que la sculpture parvient à faire concevoir ce même sentiment délicat. Rossini avait promis, un soir qu'il était sensible, de traduire par un beau duetto ce groupe sublime de Vénus et Adonis que nous admirions à la lueur d'une torche. Je me souviens que le marquis Berio le fit jurer par les mânes de Pergolèse. J'oserai peut-être imprimer un jour un traité sur le beau idéal dans tous les arts. C'est un ouvrage de deux cents pages, assez inintelligible, et surtout manquant tout à fait de transitions comme le présent chapitre.
61Voir les singuliers raisonnements du Journal des Débats d'aujourd'hui (18 septembre 1823). Un homme qui ne sent pas les beaux-arts ne peut jamais arriver, par le raisonnement, qu'à la théorie du récitatif; le chant lui échappe; une âme sèche ne le sent pas, et le raisonnement ne peut y conduire.
62Les compositeurs sifflés sont les ennemis les plus dangereux de la musique. Les vrais juges en France sont, avant tout, les jeunes femmes de vingt-cinq ans.
63Mémorial de Sainte-Hélène, de M. le comte de Las-Cases, tome IV; révoltes et enthousiasme de Brescia, de Bergame, de Vérone, etc.; le tout suivi, en 1799, de treize mois d'une réaction féroce. Aventures curieuses des patriotes déportés aux Bouches du Cattaro, décrites par M. Apostoli, de Padoue, dans ses Lettere Sirmiensi, 1809.
64Natum pati et agere fortia, vers fait pour saint Ignace de Loyola.
65Plus tard, madame Catalani a chanté les variations de Rode; il est vrai que le ciel a oublié de placer un cœur dans le voisinage de ce gosier sublime.
66Stendhal, dans tout ce passage, pense en italien, biscroma y veut dire double croche. N. D. L. E.
67Instrument favori de Rossini. (C'est la petite flûte, N. D. L. E.)
68Et les premiers essais de Rossini: la Cambiale di Matrimonio, l'Equivoco stravagante, Ciro in Babilonia, la Scala di seta, l'Occasione fa il ladro, il Figlio per azzardo.
69Il avait vingt-deux ans.
70L'opéra lui-même n'eut pas de succès. Velluti avait eu une dispute avec le célèbre Alessandro Rolla, chef de l'orchestre de la Scala, et il bouda comme un enfant tout le temps des représentations de l'Aureliano: il a, dans le fait, tout le caractère d'un enfant, et est entièrement mené par un valet de chambre.
71Autant il est agréable d'essayer en français l'analyse des mouvements du cœur ou des opérations de l'esprit, autant l'on trouve de difficultés à écrire sur l'art du chant. Puisque je ne trouve pas de mots français pour traduire avec exactitude et clarté les noms des diverses espèces de roulades ou d'ornements, je demande la permission de me servir quelquefois des mots italiens. Je suis obligé de sacrifier à la précision et à la clarté.
72Rossini a écrit pour Naples neuf de ses principaux opéras: Elisabetta, Otello, Armida, Mosè, Ricciardo e Zoraïde, Ermione, la Donna del Lago, Maometto secondo, et Zelmira; 1815 à 1822.
73L'air di tanti palpiti a été chanté avec succès, sous nos yeux, en trois tons différents.