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Les contemplations. Aujourd'hui, 1843-1856

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Şrift:Daha az АаDaha çox Аа

ÉCRIT EN 1855

 
J'ajoute un post-scriptum après neuf ans. J'écoute:
Êtes-vous toujours là? Vous êtes mort sans doute,
Marquis; mais d'où je suis on peut parler aux morts.
Ah! votre cercueil s'ouvre: – Où donc es-tu? – Dehors.
Comme vous. – Es-tu mort? – Presque. J'habite l'ombre;
Je suis sur un rocher qu'environne l'eau sombre,
Écueil rongé des flots, de ténèbres chargé,
Où s'assied, ruisselant, le blême naufragé.
-Eh bien, me dites-vous, après? – La solitude
Autour de moi toujours a la même attitude;
Je ne vois que l'abîme, et la mer, et les cieux,
Et les nuages noirs qui vont silencieux;
Mon toit, la nuit, frissonne, et l'ouragan le mêle
Aux souffles effrénés de l'onde et de la grêle;
Quelqu'un semble clouer un crêpe à l'horizon;
L'insulte bat de loin le seuil de ma maison;
Le roc croule sous moi dès que mon pied s'y pose;
Le vent semble avoir peur de m'approcher, et n'ose
Me dire qu'en baissant la voix et qu'à demi
L'adieu mystérieux que me jette un ami.
La rumeur des vivants s'éteint diminuée.
Tout ce que j'ai rêvé s'est envolé, nuée!
Sur mes jours devenus fantômes, pâle et seul,
Je regarde tomber l'infini, ce linceul. -
Et vous dites: – Après? – Sous un mont qui surplombe,
Près des flots, j'ai marqué la place de ma tombe;
Ici, le bruit du gouffre est tout ce qu'on entend;
Tout est horreur et nuit. – Après? – Je suis content.
 
Jersey, janvier 1855.

IV

 
La source tombait du rocher
Goutte à goutte à la mer affreuse.
L'Océan, fatal au nocher,
Lui dit: «Que me veux-tu, pleureuse?
 
 
«Je suis la tempête et l'effroi;
Je finis où le ciel commence.
Est-ce que j'ai besoin de toi,
Petite, moi qui suis l'immense?»
 
 
La source dit au gouffre amer:
«Je te donne, sans bruit ni gloire,
Ce qui te manque, ô vaste mer!
Une goutte d'eau qu'on peut boire.»
 
Avril 1854.

V
À MADEMOISELLE LOUISE B

 
Ô vous l'âme profonde! ô vous la sainte lyre!
Vous souvient-il des temps d'extase et de délire,
Et des jeux triomphants,
Et du soir qui tombait des collines prochaines?
Vous souvient-il des jours? Vous souvient-il des chênes
Et des petits enfants?
 
 
Et vous rappelez-vous les amis et la table,
Et le rire éclatant du père respectable,
Et nos cris querelleurs,
Le pré, l'étang, la barque, et la lune, et la brise,
Et les chants qui sortaient de votre coeur, Louise,
En attendant les pleurs!
 
 
Le parc avait des fleurs et n'avait pas de marbres.
Oh! comme il était beau, le vieillard sous les arbres!
Je le voyais parfois
Dès l'aube sur un banc s'asseoir tenant un livre;
Je sentais, j'entendais l'ombre autour de lui vivre
Et chanter dans les bois!
 
 
Il lisait, puis dormait au baiser de l'aurore;
Et je le regardais dormir, plus calme encore
Que ce paisible lieu,
Avec son front serein d'où sortait une flamme,
Son livre ouvert devant le soleil, et son âme
Ouverte devant Dieu!
 
 
Et du fond de leur nid, sous l'orme et sous l'érable,
Les oiseaux admiraient sa tête vénérable,
Et, gais chanteurs tremblants,
Ils guettaient, s'approchaient, et souhaitaient dans l'ombre
D'avoir, pour augmenter la douceur du nid sombre,
Un de ses cheveux blancs!
 
 
Puis il se réveillait, s'en allait vers la grille,
S'arrêtait pour parler à ma petite fille,
Et ces temps sont passés!
Le vieillard et l'enfant jasaient de mille choses …
Vous ne voyiez donc pas ces deux êtres, ô roses,
Que vous refleurissez!
 
 
Avez-vous bien le coeur, ô roses, de renaître
Dans le même bosquet, sous la même fenêtre?
Où sont-ils, ces fronts purs?
N'était-ce pas vos soeurs, ces deux âmes perdues
Qui vivaient, et se sont si vite confondues
Aux éternels azurs!
 
 
Est-ce que leur sourire, est-ce que leurs paroles,
Ô roses, n'allaient pas réjouir vos corolles
Dans l'air silencieux,
Et ne s'ajoutaient pas à vos chastes délices,
Et ne devenaient pas parfums dans vos calices,
Et rayons dans vos cieux?
 
 
Ingrates! vous n'avez ni regrets, ni mémoire.
Vous vous réjouissez dans toute votre gloire;
Vous n'avez point pâli.
Ah! je ne suis qu'un homme et qu'un roseau qui ploie
Mais je ne voudrais pas, quant à moi, d'une joie
Faite de tant d'oubli!
 
 
Oh! qu'est-ce que le sort a fait de tout ce rêve?
Où donc a-t-il jeté l'humble coeur qui s'élève,
Le foyer réchauffant,
Ô Louise, et la vierge, et le vieillard prospère,
Et tous ces voeux profonds, de moi pour votre père,
De vous pour mon enfant!
 
 
Où sont-ils, les amis de ce temps que j'adore?
Ceux qu'a pris l'ombre, et ceux qui ne sont pas encore
Tombés au flot sans bords;
Eux, les évanouis, qu'un autre ciel réclame,
Et vous, les demeurés, qui vivez dans mon âme,
Mais pas plus que les morts!
 
 
Quelquefois, je voyais, de la colline en face,
Mes quatre enfants jouer, tableau que rien n'efface!
Et j'entendais leurs chants;
Ému, je contemplais ces aubes de moi-même
Qui se levaient là-bas dans la douceur suprême
Des vallons et des champs!
 
 
Ils couraient, s'appelaient dans les fleurs; et les femmes
Se mêlaient à leurs jeux comme de blanches âmes;
Et tu riais, Armand!
Et, dans l'hymen obscur qui sans fin se consomme,
La nature sentait que ce qui sort de l'homme
Est divin et charmant!
 
 
Où sont-ils? Mère, frère, à son tour chacun sombre.
Je saigne et vous saignez. Mêmes douleurs! même ombre!
Ô jours trop tôt décrus!
Ils vont se marier; faites venir un prêtre;
Qu'il revienne! ils sont morts. Et, le temps d'apparaître,
Les voilà disparus!
 
 
Nous vivons tous penchés sur un océan triste.
L'onde est sombre. Qui donc survit? qui donc existe?
Ce bruit sourd, c'est le glas.
Chaque flot est une âme; et tout fuit. Rien ne brille.
Un sanglot dit: Mon père! un sanglot dit: Ma fille!
Un sanglot dit: Hélas!
 
Marine-Terrace, juin 1855.

VI
À VOUS QUI ÊTES LÀ

 
Vous, qui l'avez suivi dans sa blême vallée,
Au bord de cette mer d'écueils noirs constellée,
Sous la pâle nuée éternelle qui sort
Des flots, de l'horizon, de l'orage et du sort;
Vous qui l'avez suivi dans cette Thébaïde,
Sur cette grève nue, aigre, isolée et vide,
Où l'on ne voit qu'espace âpre et silencieux,
Solitude sur terre et solitude aux cieux;
Vous qui l'avez suivi dans ce brouillard qu'épanche
Sur le roc, sur la vague et sur l'écume blanche,
La profonde tempête aux souffles inconnus,
Recevez, dans la nuit où vous êtes venus,
Ô chers êtres! coeurs vrais, lierres de ses décombres,
La bénédiction de tous ces déserts sombres!
Ces désolations vous aiment; ces horreurs,
Ces brisants, cette mer où les vents laboureurs
Tirent sans fin le soc monstrueux des nuages,
Ces houles revenant comme de grands rouages,
Vous aiment; ces exils sont joyeux de vous voir;
Recevez la caresse immense du lieu noir!
Ô forçats de l'amour! ô compagnons, compagnes,
Qui l'aidez à traîner son boulet dans ces bagnes,
Ô groupe indestructible et fidèle entre tous
D'âmes et de bons coeurs et d'esprits fiers et doux,
Mère, fille, et vous, fils, vous ami, vous encore,
Recevez le soupir du soir vague et sonore,
Recevez le sourire et les pleurs du matin,
Recevez la chanson des mers, l'adieu lointain
Du pauvre mât penché parmi les lames brunes!
Soyez les bienvenus pour l'âpre fleur des dunes,
Et pour l'aigle qui fuit les hommes importuns,
Âmes, et que les champs vous rendent vos parfums,
Et que, votre clarté, les astres vous la rendent!
Et qu'en vous admirant, les vastes flots demandent:
Qu'est-ce donc que ces coeurs qui n'ont pas de reflux!
 
 
Ô tendres survivants de tout ce qui n'est plus!
Rayonnements masquant la grande éclipse à l'âme!
Sourires éclairant, comme une douce flamme,
L'abîme qui se fait, hélas! dans le songeur!
Gaîtés saintes chassant le souvenir rongeur!
Quand le proscrit saignant se tourne, âme meurtrie
Vers l'horizon, et crie en pleurant: «La patrie!»
La famille, mensonge auguste, dit: «C'est moi!»
 
 
Oh! suivre hors du jour, suivre hors de la loi,
Hors du monde, au delà de la dernière porte,
L'être mystérieux qu'un vent fatal emporte,
C'est beau. C'est beau de suivre un exilé! le jour
Où ce banni sortit de France, plein d'amour
Et d'angoisse, au moment de quitter cette mère,
Il s'arrêta longtemps sur la limite amère;
Il voyait, de sa course à venir déjà las,
Que dans l'oeil des passants il n'était plus, hélas!
Qu'une ombre, et qu'il allait entrer au sourd royaume
Où l'homme qui s'en va flotte et devient fantôme;
Il disait aux ruisseaux: «Retiendrez-vous mon nom,
Ruisseaux?» Et les ruisseaux coulaient en disant: «Non.»
Il disait aux oiseaux de France: «Je vous quitte,
Doux oiseaux; je m'en vais aux lieux où l'on meurt vite,
Au noir pays d'exil où le ciel est étroit;
Vous viendrez, n'est-ce pas, vous nicher dans mon toit?»
Et les oiseaux fuyaient au fond des brumes grises.
Il disait aux forêts: «M'enverrez-vous vos brises?»
Les arbres lui faisaient des signes de refus.
Car le proscrit est seul; la foule aux pas confus
Ne comprend que plus tard, d'un rayon éclairée,
Cet habitant du gouffre et de l'ombre sacrée.
 
Marine-Terrace, janvier 1855.

VII

 
Pour l'erreur, éclairer, c'est apostasier.
Aujourd'hui ne naît pas impunément d'hier.
L'aube sort de la nuit, qui la déclare ingrate.
Anitus criait: «Mort à l'apostat Socrate!»
Caïphe disait: «Mort au renégat Jésus!»
Courbant son front pendant que l'on crache dessus,
Galilée, apostat à la terre immobile,
Songe et la sent frémir sous son genou débile.
Destin! sinistre éclat de rire! En vérité,
J'admire, ô cieux profonds! que ç'ait toujours été
La volonté de Dieu qu'en ce monde où nous sommes
On donnât sa pensée et son labeur aux hommes,
Ses entrailles, ses jours et ses nuits, sa sueur,
Son sommeil, ce qu'on a dans les yeux de lueur,
Et son coeur et son âme, et tout ce qu'on en tire,
Sans reculer devant n'importe quel martyre,
Et qu'on se répandît, et qu'on se prodiguât,
Pour être au fond du gouffre appelé renégat!
 
Marine-Terrace, novembre 1854.

VIII
A JULES J. 2

 
Je dormais en effet, et tu me réveillas.
Je te criai: «Salut!» et tu me dis: «Hélas!»
Et cet instant fut doux, et nous nous embrassâmes;
Nous mêlâmes tes pleurs, mon sourire et nos âmes.
 
 
Ces temps sont déjà loin; où donc alors roulait
Ma vie? et ce destin sévère qui me plaît,
Qu'est-ce donc qu'il faisait de cette feuille morte
Que je suis, et qu'un vent pousse, et qu'un vent remporte?
 
 
J'habitais au milieu des hauts pignons flamands;
Tout le jour, dans l'azur, sur les vieux toits fumants,
Je regardais voler les grands nuages ivres;
Tandis que je songeais, le coude sur mes livres,
De moments en moments, ce noir passant ailé,
Le temps, ce sourd tonnerre à nos rumeurs mêlé,
D'où les heures s'en vont en sombres étincelles,
Ébranlait sur mon font le beffroi de Bruxelles.
Tout ce qui peut tenter un coeur ambitieux
Était là, devant moi, sur terre et dans les cieux;
Sous mes yeux, dans l'austère et gigantesque place,
J'avais les quatre points cardinaux de l'espace,
Qui font songer à l'aigle, à l'astre, au flot, au mont,
Et les quatre pavés de l'échafaud d'Egmont.
 
 
Aujourd'hui, dans une île, en butte aux eaux sans nombre,
Où l'on ne me voit plus, tant j'y suis couvert d'ombre,
Au milieu de la vaste aventure des flots,
Des rocs, des mers, brisant barques et matelots,
Debout, échevelé sur le cap ou le môle
Par le souffle qui sort de la bouche du pôle,
Parmi les chocs, les bruits, les naufrages profonds,
Morne histoire d'écueils, de gouffres, de typhons,
Dont le vent est la plume et la nuit le registre,
J'erre, et de l'horizon je suis la voix sinistre.
 
 
Et voilà qu'à travers ces brumes et ces eaux,
Tes volumes exquis m'arrivent, blancs oiseaux,
M'apportant le rameau qu'apportent les colombes
Aux arches, et le chant que le cygne offre aux tombes,
Et jetant à mes rocs tout l'éblouissement
De Paris glorieux et de Paris charmant!
Et je lis, et mon front s'éclaire, et je savoure
Ton style, ta gaîté, ta douleur, ta bravoure.
Merci, toi dont le coeur aima, sentit, comprit!
Merci, devin! merci, frère, poëte, esprit,
Qui viens chanter cet hymne à côté de ma vie!
Qui vois mon destin sombre et qui n'a pas d'envie!
Et qui, dans cette épreuve où je marche, portant
L'abandon à chaque heure et l'ombre à chaque instant,
M'as vu boire le fiel sans y mêler la haine!
Tu changes en blancheur la nuit de ma géhenne,
Et tu fais un autel de lumière inondé
Du tas de pierres noir dont on m'a lapidé.
 
 
Je ne suis rien; je viens et je m'en vais; mais gloire
À ceux qui n'ont pas peur des vaincus de l'histoire
Et des contagions du malheur toujours fui!
Gloire aux fermes penseurs inclinés sur celui
Que le sort, geôlier triste, au fond de l'exil pousse!
Ils ressemblent à l'aube, ils ont la force douce,
Ils sont grands; leur esprit parfois, avec un mot,
Dore en arc triomphal la voûte du cachot!
 
 
Le ciel s'est éclairci sur mon île sonore,
Et ton livre en venant a fait venir l'aurore;
Seul aux bois avec toi, je lis, et me souviens,
Et je songe, oubliant les monts diluviens,
L'onde, et l'aigle de mer qui plane sur mon aire;
Et, pendant que je lis, mon oeil visionnaire,
À qui tout apparaît comme dans un réveil,
Dans les ombres que font les feuilles au soleil,
Sur tes pages où rit l'idée, où vit la grâce,
Croit voir se dessiner le pur profil d'Horace,
Comme si, se mirant au livre où je te voi,
Ce doux songeur ravi lisait derrière moi!
 
Marine-Terrace, décembre 1854.

IX
LE MENDIANT

 
Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
Je cognai sur ma vitre; il s'arrêta devant
Ma porte, que j'ouvris d'une façon civile.
Les ânes revenaient du marché de la ville,
Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.
C'était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu.
Je lui criai: «Venez vous réchauffer un peu.
«Comment vous nommez-vous?» Il me dit: «Je me nomme
Le pauvre.» Je lui pris la main: «Entrez, brave homme.»
Et je lui fis donner une jatte de lait.
Le vieillard grelottait de froid; il me parlait,
Et je lui répondais, pensif et sans l'entendre.
«Vos habits sont mouillés,» dis-je, «il faut les étendre
Devant la cheminée.» Il s'approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l'âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu'il séchait ce haillon désolé
D'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations.
 
Décembre 1834.

X
AUX FEUILLANTINES

 
Mes deux frères et moi, nous étions tout enfants.
Notre mère disait: «Jouez, mais je défends
Qu'on marche dans les fleurs et qu'on monte aux échelles.»
Abel était l'aîné, j'étais le plus petit.
 
 
Nous mangions notre pain de si bon appétit,
Que les femmes riaient quand nous passions près d'elles.
Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
Et, là, tout en jouant, nous regardions souvent,
 
 
Sur le haut d'une armoire, un livre inaccessible.
Nous grimpâmes un jour jusqu'à ce livre noir;
Je ne sais pas comment nous fîmes pour l'avoir,
Mais je me souviens bien que c'était une Bible.
 
 
Ce vieux livre sentait une odeur d'encensoir.
Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir;
Des estampes partout! quel bonheur! quel délire!
Nous l'ouvrîmes alors tout grand sur nos genoux,
 
 
Et, dès le premier mot, il nous parut si doux,
Qu'oubliant de jouer, nous nous mîmes à lire.
Nous lûmes tous les trois ainsi tout le matin,
Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
 
 
Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes,
Tels des enfants, s'ils ont pris un oiseau des cieux,
S'appellent en riant et s'étonnent, joyeux,
De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.
 
Marine-Terrace, août 1855.

XI
PONTO

 
Je dis à mon chien noir: «Viens, Ponto, viens-nous-en!»
Et je vais dans les bois, mis comme un paysan;
Je vais dans les grands bois, lisant dans les vieux livres.
L'hiver, quand la ramée est un écrin de givres,
Ou l'été, quand tout rit, même l'aurore en pleurs,
Quand toute l'herbe n'est qu'un triomphe de fleurs,
Je prends Froissard, Montluc, Tacite, quelque histoire,
Et je marche, effaré des crimes de la gloire.
Hélas! l'horreur partout, même chez les meilleurs!
Toujours l'homme en sa nuit trahi par ses veilleurs!
Toutes les grandes mains, hélas! de sang rougies!
Alexandre ivre et fou, César perdu d'orgies,
Et, le poing sur Didier, le pied sur Vitikind,
Charlemagne souvent semblable à Charles-Quint;
Caton de chair humaine engraissant la murène;
Titus crucifiant Jérusalem; Turenne,
Héros, comme Bayard et comme Catinat,
À Nordlingue, bandit dans le Palatinat;
Le duel de Jarnac, le duel de Carrouge;
Louis Neuf tenaillant les langues d'un fer rouge;
Cromwell trompant Milton, Calvin brûlant Servet.
Que de spectres, ô gloire! autour de ton chevet!
Ô triste humanité, je fuis dans la nature!
Et, pendant que je dis: «Tout est leurre, imposture,
Mensonge, iniquité, mal de splendeur vêtu!»
Mon chien Ponto me suit. Le chien, c'est la vertu
Qui, ne pouvant se faire homme, s'est faite bête.
Et Ponto me regarde avec son oeil honnête.
 
Marine-Terrace, mars 1855.

XII
DOLOROSÆ

 
Mère, voilà douze ans que notre fille est morte;
Et depuis, moi le père et vous la femme forte,
Nous n'avons pas été, Dieu le sait, un seul jour
Sans parfumer son nom de prière et d'amour.
Nous avons pris la sombre et charmante habitude
De voir son ombre vivre en notre solitude,
De la sentir passer et de l'entendre errer,
Et nous sommes restés à genoux à pleurer.
Nous avons persisté dans cette douleur douce,
Et nous vivons penchés sur ce cher nid de mousse
Emporté dans l'orage avec les deux oiseaux.
Mère, nous n'avons pas plié, quoique roseaux,
Ni perdu la bonté vis-à-vis l'un de l'autre,
Ni demandé la fin de mon deuil et du vôtre
À cette lâcheté qu'on appelle l'oubli.
Oui, depuis ce jour triste où pour nous ont pâli
Les cieux, les champs, les fleurs, l'étoile, l'aube pure,
Et toutes les splendeurs de la sombre nature,
Avec les trois enfants qui nous restent, trésor
De courage et d'amour que Dieu nous laisse encor,
Nous avons essuyé des fortunes diverses,
Ce qu'on nomme malheur, adversité, traverses,
Sans trembler, sans fléchir, sans haïr les écueils,
Donnant aux deuils du coeur, à l'absence, aux cercueils,
Aux souffrances dont saigne ou l'âme ou la famille,
Aux êtres chers enfuis ou morts, à notre fille,
Aux vieux parents repris par un monde meilleur,
Nos pleurs, et le sourire à toute autre douleur.
 
Marine-Terrace, août 1855.

XIII
PAROLES SUR LA DUNE

 
Maintenant que mon temps décroît comme un flambeau,
Que mes tâches sont terminées;
Maintenant que voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les années,
 
 
Et qu'au fond de ce ciel que mon essor rêva,
Je vois fuir, vers l'ombre entraînées,
Comme le tourbillon du passé qui s'en va,
Tant de belles heures sonnées;
 
 
Maintenant que je dis: – Un jour, nous triomphons;
Le lendemain, tout est mensonge! -
Je suis triste, et je marche au bord des flots profonds,
Courbé comme celui qui songe.
 
 
Je regarde, au-dessus du mont et du vallon,
Et des mers sans fin remuées,
S'envoler sous le bec du vautour aquilon,
Toute la toison des nuées;
 
 
J'entends le vent dans l'air, la mer sur le récif,
L'homme liant la gerbe mûre;
J'écoute, et je confronte en mon esprit pensif
Ce qui parle à ce qui murmure;
 
 
Et je reste parfois couché sans me lever
Sur l'herbe rare de la dune.
Jusqu'à l'heure où l'on voit apparaître et rêver
Les yeux sinistres de la lune.
 
 
Elle monte, elle jette un long rayon dormant
À l'espace, au mystère, au gouffre;
Et nous nous regardons tous les deux fixement
Elle qui brille et moi qui souffre.
 
 
Où donc s'en sont allés mes jours évanouis?
Est-il quelqu'un qui me connaisse?
Ai-je encor quelque chose en mes yeux éblouis,
De la clarté de ma jeunesse?
 
 
Tout s'est-il envolé? Je suis seul, je suis las;
J'appelle sans qu'on me réponde;
Ô vents! ô flots! ne suis-je aussi qu'un souffle, hélas!
Hélas! ne suis-je aussi qu'une onde?
 
 
Ne verrai-je plus rien de tout ce que j'aimais?
Au dedans de moi le soir tombe.
Ô terre, dont la brume efface les sommets,
Suis-je le spectre, et toi la tombe?
 
 
Ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir?
J'attends, je demande, j'implore;
Je penche tour à tour mes urnes pour avoir
De chacune une goutte encore!
 
 
Comme le souvenir est voisin du remord!
Comme à pleurer tout nous ramène!
Et que je te sens froide en te touchant, ô mort,
Noir verrou de la porte humaine!
 
 
Et je pense, écoutant gémir le vent amer,
Et l'onde aux plis infranchissables;
L'été rit, et l'on voit sur le bord de la mer
Fleurir le chardon bleu des sables.
 
5 août 1854, anniversaire de mon arrivée à Jersey.

XIV
CLAIRE P

 
Quel âge hier? Vingt ans. Et quel âge aujourd'hui?
L'éternité. Ce front pendant une heure a lui.
Elle avait les doux chants et les grâces superbes;
Elle semblait porter de radieuses gerbes;
Rien qu'à la voir passer, on lui disait: Merci!
Qu'est-ce donc que la vie, hélas! pour mettre ainsi
Les êtres les plus purs et les meilleurs en fuite?
Et, moi, je l'avais vue encor toute petite.
Elle me disait vous, et je lui disais tu.
Sou accent ineffable avait cette vertu
De faire en mon esprit, douces voix éloignées,
Chanter le vague choeur de mes jeunes années.
Il n'a brillé qu'un jour, ce beau front ingénu.
Elle était fiancée à l'hymen inconnu.
À qui mariez-vous, mon Dieu, toutes ces vierges?
Un vague et pur reflet de la lueur des cierges
Flottait dans son regard céleste et rayonnant;
Elle était grande et blanche et gaie; et, maintenant,
Allez à Saint-Mandé, cherchez dans le champ sombre,
Vous trouverez le lit de sa noce avec l'ombre;
Vous trouverez la tombe où gît ce lys vermeil;
Et c'est là que tu fais ton éternel sommeil,
Toi qui, dans ta beauté naïve et recueillie,
Mêlais à la madone auguste d'Italie
La Flamande qui rit à travers les houblons,
Douce Claire aux yeux noirs avec des cheveux blonds.
 
 
Elle s'en est allée avant d'être une femme;
N'étant qu'un ange encor; le ciel a pris son âme
Pour la rendre en rayons à nos regards en pleurs,
Et l'herbe, sa beauté, pour nous la rendre en fleurs.
 
 
Les êtres étoilés que nous nommons archanges
La bercent dans leurs bras au milieu des louanges;
Et, parmi les clartés, les lyres, les chansons,
D'en haut elle sourit à nous qui gémissons.
Elle sourit, et dit aux anges sous leurs voiles:
Est-ce qu'il est permis de cueillir des étoiles?
Et chante, et, se voyant elle-même flambeau,
Murmure dans l'azur: Comme le ciel est beau!
Mais cela ne fait rien à sa mère qui pleure;
La mère ne veut pas que son doux enfant meure
Et s'en aille, laissant ses fleurs sur le gazon,
Hélas! et le silence au seuil de la maison!
 
 
Son père, le sculpteur, s'écriait: – Qu'elle est belle!
Je ferai sa statue aussi charmante qu'elle.
C'est pour elle qu'avril fleurit les verts sentiers.
Je la contemplerai pendant des mois entiers
Et je ferai venir du marbre de Carrare.
Ce bloc prendra sa forme éblouissante et rare;
Elle restera chaste et candide à côté.
On dira: «Le sculpteur a deux filles: Beauté
Et Pudeur; Ombre et Jour; la Vierge et la Déesse;
Quel est cet ouvrier de Rome ou de la Grèce
Qui, trouvant dans son art des secrets inconnus,
En copiant Marie, a su faire Vénus?»
 
 
Le marbre restera dans la montagne blanche,
Hélas! car c'est à l'heure où tout rit, que tout penche;
Car nos mains gardent mal tout ce qui nous est cher;
Car celle qu'on croyait d'azur était de chair;
Et celui qui taillait le marbre était de verre;
Et voilà que le vent a soufflé, Dieu sévère,
Sur la vierge au front pur, sur le maître au bras fort;
Et que la fille est morte, et que le père est mort!
Claire, tu dors. Ta mère, assise sur ta fosse,
Dit: – Le parfum des fleurs est faux, l'aurore est fausse,
L'oiseau qui chante au bois ment, et le cygne ment,
L'étoile n'est pas vraie au fond du firmament,
Le ciel n'est pas le ciel et là-haut rien ne brille,
Puisque, lorsque je crie à ma fille: «Ma fille,
Je suis là. Lève-toi!» quelqu'un le lui défend;
Et que je ne puis pas réveiller mon enfant! -
 
Juin 1854.
2Voir Histoire de la Littérature dramatique, t. VI, pages 413 et 414.